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rendras la somme à ton patron, et tu lui diras qu’il gagne trois carlins. Bonjour, mon petit.

Le signorino s’empara de la bague et disparut. Nino, un peu soucieux de son marché d’or, mit les quinze carlins dans sa poche et retourna chez son maître en préparant dans sa tête une douzaine de bons mensonges pour faire face à toutes les difficultés de la situation. Il était habile comédien. Lorsque sir John l’interrogea sur sa commission, il répondit avec une assurance et une simplicité parfaites. Le patron n’eut aucun soupçon, et Nino, se croyant déjà hors d’affaire, courut montrer à Giovannina la petite somme qu’il devait apporter dans la communauté. C’était, disait-il, le fruit de ses économies, et avec de l’ordre et du zèle il espérait augmenter encore le magot de sa femme chérie.

— Ne t’en mets pas en peine, mon mignon, lui dit Giovannina. Tu es trop beau pour travailler ; c’est moi que cela regarde. Non, je ne veux point que le bien-aimé de mon cœur s’ennuie et se fatigue. Il est admirable à toi d’avoir suivi mes conseils et renoncé à ta vie vagabonde ; mais à présent le sacrifice est fait, et la récompense va commencer. Apprends que j’ai encore augmenté le nombre de mes ouvrières. La fortune vient à nous. Je gagnerai cette année plus de mille ducats ; nous serons heureux sans travailler beaucoup, et je te régalerai, je préparerai moi-même ton macaroni, je te servirai le chocolat, le café, le vin de Sicile. Tu porteras un chapeau de soie, une veste de velours, une culotte de nankin et des souliers qui brilleront à se mirer dedans. Le dimanche, nous irons, parés comme des seigneurs, nous promener sur des ânes à Ischia et manger des figues d’Inde tant que nous en voudrons, et nous chanterons, nous danserons des tarentelles à tomber comme morts sur le gazon, et nous nous dirons du matin au soir que nous nous aimons. Oh ! bénie soit la madone qui nous aura fait une si bonne vie !

Elle en aurait dit ainsi jusqu’au lendemain, la belle Giovannina, tant elle avait de joie dans le cœur. Les idées se pressaient dans sa jolie tête comme des enfans avides de plaisir à la porte du théâtre de Polichinelle. Nino, tout brûlant d’amour, la dévorait des yeux, et il attendait qu’elle reprît haleine pour saisir la parole à son tour ; mais la figure froide et sévère du seigneur anglais entra d’un pas raide et solennel comme la statue au souper de don Juan. Pour que sir John vînt chercher son serviteur à la Conciaria, il fallait qu’il eût à l’entretenir de quelque affaire sérieuse et pressée. En effet, l’Anglais toucha du bout de sa canne l’épaule de Nino et lui dit : — À qui as-tu remis la boîte que je t’avais chargé de porter au Vico Freddo ?

— À la femme de chambre, répondit Nino sans hésiter.

— Tu as eu tort, puisque je t’avais ordonné de la remettre à la signora elle-même.