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René, contre tous ces personnages de la littérature moderne qui grattent leurs plaies pour les faire saigner et se glorifient de leurs ulcères! Hélas! ce n’est point un défaut inhérent seulement à la littérature : je vois beaucoup de choses semblables en philosophie, en politique, en morale et en religion. Hommes de mon temps, combien de fois je vous ai vus inquiets de l’avenir lorsque vous auriez eu plus de sujet d’être inquiets de votre conscience, et enrageant contre l’époque lorsque vous auriez mieux fait d’enrager contre vos propres opinions! Voulez-vous sérieusement guérir? Mettez-vous en quarantaine, abstenez-vous, soyez tempérans et sobres, et lorsque vous sortirez guéris, vous aurez appris que le mal qui vous tourmentait n’était pas où vous le cherchiez, dans autrui, et qu’il était en vous. Nous avons inventé une plaisante manière d’abdiquer toute responsabilité : nous allons criant à tue-tête que la crise existe, et nous ne voulons pas convenir que chacun de nous contribue à la faire; nous croyons que le mal est indépendant de nous et que, victimes dévouées à l’expiation, nous portons la peine des péchés de nos pères, nous voltairiens, sceptiques, qui nous faisons gloire cependant de ne pas croire au péché originel. Oh! quelle voix retentissante fera entendre de nouveau l’axiome favori du sage : Connais-toi toi-même et guéris-toi!

La crise qui travaille la société moderne est certes effrayante, et chaque jour l’abîme s’ouvre plus profond; chaque jour nous apercevons un nouveau danger auquel nous n’avions pas pensé la veille. Le mal est grand; mais quelle est sa nature? Chacun donne son explication, explication insuffisante, commentaire de pédant, de pécheur endurci, de libertin ou d’étourdi. L’un, s’apercevant que sa foi religieuse est chancelante, s’écrie que le mal est l’absence de religion; l’autre, s’apercevant qu’il est enclin à la révolte, s’écrie que le mal est l’absence d’un gouvernement fort; le troisième, se sentant plein d’envie et de passions haineuses, s’écrie que le mal provient de l’accumulation des richesses dans certaines mains, de l’exploitation, de la mauvaise distribution des produits. Cependant, si tous se rendaient justice, ils s’apercevraient que le mal c’est leur vanité, leur envie, ou leur indifférence. Le mal provient donc de ce centre humain d’où partent et où viennent aboutir, comme autant de rayons, la foi et le respect, l’autorité et les institutions politiques, la richesse et le bonheur. C’est ce centre même qui est malade, c’est la source de la lumière qui est altérée, et c’est pourquoi les rayons vont s’éteignant. En un mot, ce ne sont pas les institutions qui sont mauvaises, c’est l’individu; ce n’est pas la société, c’est la personne humaine. Je renverserai donc les termes des questions telles qu’on les pose de notre temps, et je dirai : Si la société est en proie à une crise terrible, ce n’est point sa faute à elle qui, produit de la liberté et de l’intelligence humaine, n’a ni liberté ni