Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/218

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des autres. Quelle certitude morale ont-ils qu’ils ne se seront pas trompés? quelle confiance peuvent-ils avoir les uns dans les autres, ne connaissant pas la règle morale qui les gouverne? Voilà les conséquences qu’entraîne après lui le scepticisme; l’anarchie est la pire assurément, mais elle n’est pas la seule. Aussi rien n’égale-t-il notre stupéfaction en voyant les modernes théoriciens qui, pour faire cesser cet état de choses, proposent l’athéisme, c’est-à-dire le vide moral élargi encore davantage et une plus grande division, s’il est possible, entre les hommes. En ce sens, les socialistes sont plus que les fléaux et les destructeurs de notre pauvre société; ils sont ses flatteurs et ses corrupteurs : ce qu’ils proposent, c’est tout simplement d’élargir ses plaies, de détruire tout ce qui en elle est bon et de garder tout ce qui la ruine. Comme guérison de nos maladies, ils nous proposent ces maladies elles-mêmes, sans doute par un ressouvenir de la vipère, dont le poison guérit les blessures qu’il a faites.

De même que les rapports des individus entre eux, les rapports de l’individu avec le gouvernement ne sont qu’anarchie et trahissent un oubli profond et complet des limites des droits, des pouvoirs, des devoirs de l’un et de l’autre. Rien n’égale les incroyables prétentions que l’individu élève de nos jours et l’ignorance où il est plongé sur la vraie nature et les véritables attributions du gouvernement. L’individu est essentiellement réformiste; par caractère, le gouvernement, au contraire, est essentiellement conservateur. Ces deux forces opposées ont existé de tout temps, et aucune des deux ne peut être niée sans danger pour la nature humaine ou la société. Chacun porte en soi une force particulière qui bon gré, mal gré, se développera et accomplira dans le monde des changemens bons ou mauvais; mais cette initiative individuelle doit nécessairement rencontrer des obstacles dans l’action du pouvoir, qui l’arrête et l’interroge. Cet obstacle n’est en aucune façon une tyrannie, car il apprend à l’individu que l’usage de cette initiative personnelle entraîne avec elle telle ou telle responsabilité. Cette force d’initiative n’était jusqu’alors qu’un pur instinct aveugle : l’obstacle que le pouvoir lui oppose en fait un exercice de la liberté. A toutes les époques de l’histoire, on rencontre ces deux forces aux prises; l’individu rencontre l’obstacle de l’autorité, obstacle prévu et dont il ne s’étonne point. Il s’arrête alors, attend, cherche un autre moyen d’agir, ou bien désobéit aux injonctions qui lui ont été faites et marche droit vers son but. Cet acte emporte avec lui une grave responsabilité, mais alors il le sait et s’attend à tout. Il a pris son parti sur le châtiment qui l’attend et ne se livre pas à des récriminations insensées. Chacun, à ses risques et périls, peut user de sa force personnelle; telle est la leçon que nous donne l’histoire tout entière, sauf les cas exceptionnels, très peu nombreux d’ailleurs, où le pouvoir s’est montré