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des étrangers, mais comme des compatriotes, que l’on nous accueillit. Là, pour la première fois, nous rencontrâmes, sur les riches domaines que son courage a conquis et que son industrie féconde, ce peuple qu’en dépit des événemens politiques une invincible sympathie attire encore vers la France. À quatre mille lieues de notre pays, nous nous retrouvâmes au milieu d’officiers qui savaient toutes nos gloires et se plaisaient à les redire, qui vivaient de notre vie intellectuelle, ne goûtaient que nos idées et notre littérature, ne parlaient avec plaisir que notre langue. Si nous devions juger de tous les Hollandais par ceux que nous avons rencontrés dans les mers de l’Indo-Chine, nulle part la France ne trouverait des alliés plus dévoués et plus sympathiques que sur les bords de l’Escaut et de la Meuse.

La population d’Amboine est peu considérable. On compte à peu près trente mille habitans, répandus dans les deux péninsules, et, sur ce nombre, la ville seule renferme plus de huit mille âmes. Cette ville, composée de trois quartiers distincts, est complètement masquée du côté de la mer par la vaste enceinte du fort Vittoria. Pour y arriver, il faut traverser la forteresse, qui elle-même est une ville à part. En face de cette cité militaire s’étend la ville européenne, avec ses blanches maisons précédées de leurs frais portiques ; à gauche se pressent, au milieu des ombrages touffus et sur les deux rives d’un ruisseau qui va se perdre à la mer, les chaumières de bambou des Malais ; à droite se développe le quartier ou campong qu’habitent les Chinois. Établis depuis plus de deux siècles à Amboine, où leur ingénieuse industrie, leurs habitudes laborieuses, leur singulière aptitude au commerce de détail les rendaient pour la colonisation européenne de précieux auxiliaires, ces Chinois, issus de mères malaises, ne diffèrent en rien des sujets du Céleste Empire. Le type mongol ne s’est point altéré chez eux par le mélange inévitable d’une autre race. Les yeux n’ont pas perdu leur obliquité, la face a conservé ses saillies anguleuses, le teint est demeuré terne et blafard. Le sang chinois traverse les alliances étrangères comme le Rhône traverse le lac Léman. Ce peuple étrange semble marqué d’un sceau ineffaçable. Il garde dans l’émigration sa physionomie, son costume, ses instincts et ses mœurs. Soumis à un impôt personnel d’une piastre par tête, les Chinois d’Amboine n’ont pas de rapports directs avec les autorités de la colonie. C’est un Chinois qui est chargé de la police du campong. Ce chef porte le titre de capitaine et reçoit du magistrat civil les ordres qu’il doit faire exécuter par ses compatriotes. Le quartier chinois offre un curieux coup d’œil, quand le soir les lanternes en papier peint illuminent d’un bout à l’autre ses longues rues parallèles à la mer. Chaque maison semble ouverte aux regards indiscrets des passans ; mais un écran posé au milieu du vestibule protège, sans gêner la circulation de l’air, les mystères de la vie