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miasmes délétères qui s’y étaient accumulés pendant des siècles. Chaque année, des fièvres pernicieuses se déclarent dès le mois de décembre et exercent leurs impitoyables ravages jusqu’à la fin du mois d’août. L’année 1847 avait coûté à la garnison d’Amboine quatre officiers. Les deux années qui suivirent notre passage se montrèrent heureusement plus clémentes. Que le feu intérieur s’apaise dans les entrailles de cet archipel volcanique, et l’île d’Amboine, rendue à ses conditions premières, redeviendra peut-être ce qu’elle était quand le contre-amiral d’Entrecasteaux la visita en 1792, ce qu’elle nous parut encore pendant le court séjour que nous y fîmes : le paradis des Indes néerlandaises.


II.

Le 15 novembre, avant que le soleil eût disparu sous l’horizon, la Bayonnaise avait doublé la dernière pointe de la baie d’Amboine. On nous avait prédit pour la traversée que nous allions entreprendre de nouvelles contrariétés. Tant que la mousson du nord-ouest ne serait pas franchement établie dans la mer de Java, nous devions nous attendre à des calmes obstinés dans la mer des Moluques. La première journée qui suivit notre départ fut, en effet, une journée perdue; le lendemain, une belle brise de sud nous fit franchir en quelques heures, le canal qui sépare Bourou de Manipa. Nous découvrions déjà les îles Xulla, quand le vent tomba subitement; mais l’orage grondait encore sur les sommets de Céram, et nous espérions un prompt retour de la brise. Cet espoir fut bientôt déçu : les nuages amoncelés se dispersèrent, et le ciel reprit sa sérénité désespérante. Pendant douze jours, nous errâmes entre le groupe des Xulla et les îles Oby, sans cesse repoussés par les courans, dont les tourbillons sillonnaient le détroit de longues stries d’écume. Quelquefois, au milieu de la nuit, un cachalot se levait sous la poupe de la corvette, et faisait jaillir l’eau de ses évens; un koro-koro[1] traversait le canal en excitant les rameurs par les roulemens cadencés du tam-tam : ces rares incidens troublaient seuls la monotonie des longues heures qui se succédaient dans l’impatience. Aucune voile ne se montrait autour de nous. Sur la mer silencieuse et déserte, on n’apercevait que quelques touffes d’agaves, ou quelques troncs d’arbres entraînés par les crues subites des rivières qui se jettent dans le golfe de Gorontalo. Notre persévérance cependant ne se démentait pas. Dès qu’une fraîcheur capricieuse enflait ses voiles hautes, la Bayonnaise s’éveillait soudain, et glissait vers Lissa-Matula ou vers Oby-Minor, Il nous semblait qu’une fois ces îles dépassées, le charme magique qui nous enchaînait serait rompu. Le 1er

  1. Bateau malais.