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le sultan devant une table dressée au fond du salon. Sur cette table, un plat d’argent ciselé, merveilleux travail d’un autre âge, contenait les feuilles de bétel, la chaux et les noix d’arek qu’il est d’usage d’offrir aux princes indigènes en pareille occasion. Le sultan pouvait dédaigner cette offrande, mais il n’eût pu se dispenser de tremper ses lèvres dans la coupe remplie d’eau que le résident lui fit apporter. Il garda cette eau quelque temps dans sa bouche avant de la rejeter dans un vase d’argent que lui présenta un de ses serviteurs. Dans les temps barbares où fut institué ce cérémonial, le poison, non moins que le fer, avait plus d’une fois délivré les princes malais de leurs ennemis : on avait donc témoigné une confiance sans réserve à son hôte, quand on avait accepté de ses mains un breuvage trop souvent apprêté par la trahison.

Le sultan de Ternate entrait dans sa soixante-cinquième année. Sous un réseau de rides, sa figure, moins brune que ne l’est ordinairement celle des Malais, présentait cependant le type écrasé de cette race : — le nez aplati, les pommettes saillantes, les lèvres épaisses et ensanglantées de bétel. — La bienveillance du regard prêtait seule un certain charme à cet ensemble peu séduisant. On ne pouvait toutefois s’empêcher de sourire à la vue des bizarres oripeaux dont le sultan avait affublé sa personne. Un turban, monstrueux édifice enrichi de plumes et de pierreries, ceignait son front royal, qui semblait succomber sous tant de magnificence. Un habit de velours vert, d’où s’échappait un flot prétentieux de dentelles, chargeait de broderies fanées ses épaules déjà voûtées par l’âge; des bas de soie et une culotte de casimir blanc frissonnaient autour de ses jambes amaigries, semblables aux tiges bifurquées au pandanus. La sultane suivait d’assez près son époux dans le sentier de la vie. Sa physionomie dure et sèche faisait encore mieux, ressortir toute la bonhomie empreinte sur les traits du vieux souverain. Les jeunes princesses groupées autour de l’épouse légitime du sultan étaient vêtues comme elle d’une simple robe de mousseline blanche à laquelle l’œil jaloux d’une mère aurait pu désirer plus d’ampleur. Cette étoffe légère dessinait imprudemment, dans un salon inondé de lumière, des contours habitués aux clartés discrètes du datem. La saya péruvienne ne serre pas de plus près la taille élancée des femmes de Lima. Quelques-unes de ces jeunes filles ne manquaient ni de grâce ni de beauté. La pâleur cuivrée de leur teint s’alliait bien avec le long regard de ces grands yeux pensifs dont aucun éclair ne troublait la sombre et impassible sérénité. Leur longue chevelure noire leur eût servi de voile, si elles eussent voulu la laisser retomber jusqu’à terre.

Après s’être livré pendant quelques minutes à notre muette contemplation, le sultan se retira dans une autre chambre; mais il tarda peu