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indolence énerve l’action du citoyen et l’autorité du chef de famille, il y a peut-être quelque intérêt à su retracer l’image d’une volonté vigoureuse qui ne s’est jamais laissé détourner de sa route et qui a marché constamment vers son but : nul mieux que M. Royer-Collard ne saurait nous apprendre ce que la vie publique gagne à s’appuyer sur la pratique austère des devoirs de la vie privée; nul ne nous donne à contempler dans un plus parfait modèle l’inflexibilité de l’homme d’état et la majesté du père de famille. M. Royer-Collard avait pris ses grandes qualités dans la forte race dont il était issu, et qu’il importe de connaître pour comprendre cette imposante figure que nous trouvons au premier rang de la philosophie et de la politique de notre temps,


I.

Le village de Métiercelin est connu dans l’histoire du jansénisme. Un curé d’une éminente vertu, appartenant à l’école de Port-Royal, avait autrefois pénétré les simples esprits de ce village de cette piété étroite, mais ferme, qui est le propre de la secte de Jansénius. Une famille se faisait remarquer entre toutes celles de ce pays par la rigidité de sa piété, la simplicité des mœurs et la grandeur des caractères, particulièrement chez les femmes : c’est à cette famille qu’appartiennent la mère et l’aïeule de M. Royer-Collard. L’aïeule était une de ces femmes austères et saintes chez lesquelles la religion et le devoir se donnent un mutuel appui. Elle eut trois fils et une fille. L’un des fils devint supérieur du grand séminaire de Troyes, l’autre directeur du collège des doctrinaires à Saint-Omer, le troisième officier dans la maison du roi : ce dernier, entraîné sur la pente des plaisirs par la liberté de la vie militaire, fit endurer plus d’une épreuve à la fermeté de sa mère. Il revint un soir, déclarant qu’il était à bout de ressources. Sa famille ne se soutenait depuis long-temps que par la pratique de la plus étroite économie, moitié par nécessité, moitié par vertu, pour augmenter la part qu’elle distribuait en aumônes. « Mon fils, dit la mère, je vous ai donné tout ce que je pouvais vous donner. — Ma mère, je n’ai donc d’autre refuge que la mort; je vais y recourir dans votre maison, sous vos yeux. — Mon fils. Dieu ne permettra pas, j’espère, que je ne puisse vous épargner un crime qu’en commettant moi-même une faute. Vous aurez ici l’abri, le vêtement et la nourriture; rien de plus. » L’impétuosité du soldat se brisa contre le pieux sang-froid de la femme.

La fille de cette femme courageuse, la mère de M. Royer-Collard, avait la même piété et les mêmes mœurs; mais la dignité en était tempérée par quelque goût pour l’ironie. S’il était permis de chercher à ces simples femmes des modèles dans l’école à laquelle elles