Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/268

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

échappe à la prise de notre conscience et de notre mémoire, qui n’a point de commencement et qui n’aura point de terme. C’est un troisième objet qui excède l’expérience des sens extérieurs et même du sens intime.

Ce n’est pas tout. Les sens et la mémoire nous montrent ce qui change. Le morceau de cire dont parle Descartes, qu’on a fraîchement extrait de la ruche, et qu’on approche ensuite du feu, perd sa forme, sa couleur, son odeur, sa saveur, enfin tout ce qu’il a de sensible, et cependant nous disons que c’est toujours le même morceau de cire. Pourquoi parlons-nous ainsi, puisque tout ce que les sens y connaissaient a changé? Nous devrions dire que l’objet tout entier est changé, et toutefois nous prononçons que, sous les changemens extérieurs, quelque chose que les sens ne saisissent pas n’a point changé. Ce quelque chose est ce que nous appelons le substratum ou la substance. Enfin les sens nous font voir ce qui commence, la pierre qui roule, les plantes qui croissent, les animaux qui naissent, le soleil qui monte et descend; mais d’où vient que la pierre roule? qui l’a mise en mouvement? qui fait croître les plantes et naître les animaux? qui a lancé le soleil sur sa route? Les sens, enfermés dans le moment présent, sont incapables même de poser ces questions, bien loin de les résoudre; nous les posons cependant, et nous les résolvons en affirmant qu’une cause a précédé tous les phénomènes, que cette cause est sans limites dans le temps comme dans l’espace, qu’elle n’a pas en elle-même de cause, qu’elle n’a pas pu commencer, et qu’elle ne peut pas périr.

C’est ainsi que M. Royer-Collard rassemble toutes les connaissances qui ne sont pas fournies par l’expérience. La stabilité, la généralité des phénomènes de la nature est un principe qui excède la portée des sens, mais qui cependant n’a pas une existence nécessaire; car, bien que nous soyons portés à croire que la nature ne changera pas, cependant il ne répugnerait pas à notre raison d’admettre qu’elle pût changer. Il n’en est pas de même de l’espace, du temps, de la substance et de la cause. Nous ne pouvons supposer, même pour un moment, que l’espace puisse s’anéantir, le temps s’arrêter, la substance se supprimer et la cause première s’abolir. Ces objets sont marqués du caractère de la nécessité, et composent le domaine de ce qu’on appelle la connaissance nécessaire.

En traitant de ces quatre sujets, — l’espace, le temps, la substance et la cause, — M. Royer-Collard a touché les points importans de la métaphysique, c’est-à-dire de l’ontologie et de la théologie naturelle. Quand on relit les fragmens qui nous en ont été conservés, on est frappé, non-seulement de la beauté de la forme, mais de la force du raisonnement, de l’étendue de l’esprit, de la hauteur où se place le philosophe pour embrasser sous quatre chefs principaux toute la