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essai qu’il avait fait des institutions quasi-républicaines qu’on lui avait données, pour revenir à l’ordre et à la modération que comporte le régime de la monarchie constitutionnelle.

Ici nous touchons à un point que Mirabeau développe admirablement dans plusieurs notes, je veux dire l’impossibilité radicale et absolue du gouvernement populaire, et le danger par conséquent d’en faire l’essai, si court qu’il soit, car cet essai de l’impossible ne produit que l’anarchie. « . Je suppose, dit Mirabeau dans sa note sur la révision de la constitution, je suppose que l’on puisse entraîner dans un projet de réformation la majorité même de la section patriotique de l’assemblée ; je soutiens que cette réformation ne pourrait pas s’exécuter, parce qu’il faudrait avant tout préparer l’opinion publique à ce changement, et que, d’ici au terme de la session actuelle le temps serait insuffisant pour opérer une telle révision, et faire rentrer dans son lit ce torrent qui a rompu toutes ses digues. On oublie toujours, lorsqu’on parle des effets de la révolution et des maux de la constitution, que leur résultat le plus redoutable est cette action immédiate du peuple, et, si je puis m’exprimer ainsi, cette espèce d’exercice de la souveraineté en corps de nation, dont l’effet le plus sensible est que législateur lui-même n’est plus qu’un esclave, qu’il est obéi lorsqu’il plaît, et qu’il serait détrôné, s’il choquait l’impulsion qu’il a donnée. Avec un tel esprit public, peu importe que la théorie du gouvernement soit monarchique, ou démocratique, la masse du peuple est tout ; ses mouvemens impétueux sont les seules lois : caresser le peuple, le flatter, le corrompre, est tout l’art des législateurs, comme la seule ressource des administrateurs[1]. » Ce que j’aime dans Mirabeau, c’est le sens pratique et décisif que je trouve partout dans ses notes. Nous avons vu, plus haut comment pour lui la grande affaire en finances, c’est de payer l’armée et la dette publique ; nous voyons ici comment, mettant de côté tout ce qui est théorie monarchique ou démocratique, il va droit à la plaie du temps et de tous les temps, l’action immédiate du peuple dans le gouvernement. Mirabeau en effet ne demande pas à une société si elle est monarchique ou républicaine ; ce sont là des mots il lui demande comment elle fait intervenir le peuple dans le gouvernement, dans quelle mesure et de quelle manière ; tout est là. Nous voyons tous les jours des institutions dont l’art consiste à mettre en mouvement la masse du peuple pour lui faire trouver son gouvernement. C’est le monde renversé. Les institutions sont faites pour qu’un peuple ait toujours son gouvernement prêt et agissant, et non pour qu’il le cherche et le crée tous les matins. « Une nation, dit Mirabeau avec son grand sens pratique, n’est en résultat que ce qu’est son

  1. Tome II, p. 444-445.