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cruauté, ne fussent-elles qu’écrites, porteront témoignage contre elle et la flétriront à son tour. » Ces vives paroles firent reculer l’audace du parti contre-révolutionnaire, et la loi succomba.

La dernière lutte soutenue par M. Royer-Collard fut dirigée contre le projet de loi par lequel la faction de droite voulut envelopper la presse de liens plus forts que ceux qu’elle lui avait donnés jusque-là. L’indignation avait été le ton dominant de son discours sur la loi du sacrilège, ses dernières paroles furent marquées par l’accent de l’ironie et du mépris. « Dans la pensée intime de la loi, dit-il, il y a eu de l’imprévoyance au grand jour de la création à laisser l’homme s’échapper libre et intelligent au milieu de l’univers : de là sont sortis le mal et l’erreur; une plus haute sagesse vient réparer la faute de la Providence, restreindre sa libéralité imprudente et rendre à l’humanité sagement mutilée le service de l’élever enfin à l’heureuse innocence des brutes.... Deux fois en vingt ans, nous ne l’avons pas oublié, la tyrannie s’est appesantie sur nous, la hache révolutionnaire à la main, ou le front brillant de l’éclat de cinquante victoires. La hache est émoussée; personne, je le crois, ne voudrait la ressaisir, et personne aussi ne le pourrait.... C’est dans la gloire seule, guerrière et politique, comme celle qui nous a éblouis, que la tyrannie doit aujourd’hui tremper ses armes. Privée de la gloire, elle serait ridicule. Conseillers de la couronne, connus ou inconnus, qu’il nous soit permis de vous le demander : qu’avez-vous fait jusqu’ici qui vous élève à ce point au-dessus de vos concitoyens, que vous soyez en état de leur imposer la tyrannie? Dites-nous quel jour vous êtes entrés en possession de la gloire? quelles sont vos batailles gagnées? quels sont les immortels services que vous avez rendus au roi et à la patrie? Obscurs et médiocres comme nous, il nous semble que vous ne nous surpassez qu’en témérité.... La loi que je combats annonce la présence d’une faction dans le gouvernement aussi certainement que si cette faction se proclamait elle-même, et si elle marchait devant nous enseignes déployées. Je ne lui demanderai pas qui elle est, d’où elle vient, où elle va : elle mentirait. Je la juge par ses œuvres : voilà qu’elle vous propose la destruction de la liberté de la presse; l’année dernière, elle avait exhumé, du moyen-âge le droit d’aînesse; l’année précédente, le sacrilège. Ainsi dans la religion, dans la société, dans le gouvernement, elle retourne en arrière;... elle tend par le fanatisme, le privilège et l’ignorance à la barbarie et aux dominations absurdes que la barbarie favorise. L’entreprise est laborieuse, et il ne sera pas facile de la consommer. A l’avenir, il ne s’imprimera pas une ligne en France, je le veux; une frontière d’airain nous préservera de la contagion étrangère, à la bonne heure. Mais il y a long-temps que la discussion est ouverte dans le monde entre le bien et le mal, le vrai et le faux; elle remplit d’innombrables volumes,