Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/291

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

littérature. Il n’a pas la marche vive et dégagée du XVIIIe siècle; il recherchait des grâces plus austères et plus retenues; il s’est mis au nombre de nos écrivains classiques, non pas des classiques élégans du siècle de Louis XV et de Voltaire, mais des classiques graves et élevés du siècle de Louis XIV et de Bossuet.

Même dans les entretiens familiers, la parole de M. Royer-Collard conservait une grande élévation, ou une correction curieuse, ou une forme d’antithèse et de contre-vérité qui rendait la pensée plus frappante et le trait plus acéré. Tantôt, mettant malicieusement en regard l’ancienne et la nouvelle littérature, il disait aux nouveaux auteurs : « Je ne lis plus, je relis; » tantôt, relevant comme un défaut une docilité que d’autres auraient regardée comme une déférence flatteuse, il se plaignait d’une personne en s’écriant : « Je lui persuade tout ce que je veux. » Une fois, pour signaler l’ambition oratoire d’un poète, il disait en parlant d’un discours que celui-ci devait prononcer : « On s’attend à de l’imprévu. » Un autre jour, rencontrant un illustre personnage récemment décoré d’un nouveau titre, il lui adressait ces mots, comme s’il avait à le consoler d’un désavantage : « Je vous fais mon compliment, monsieur, cela ne vous diminue pas. » Une autre fois encore, tout en ne voulant pas paraître juger une célèbre histoire du consulat et de l’empire, et désirant cependant lui reprocher de ne pas assez respirer l’amour de la liberté, il se contentait de dire : « Lorsque j’ai reçu l’ouvrage, je relisais les histoires de Tacite. » C’est ainsi que sa parole donnait du relief à toutes choses, et comme l’a remarqué un excellent juge, « si la pensée était commune, il la refrappait à son empreinte; quelquefois même il la rendait excessive, pour qu’elle ne servit qu’à lui[1]. »

Mais nous n’avons pas achevé de tracer la vie politique de M. Royer-Collard. Les élections de 1828 ne répondirent pas aux espérances des partisans de l’ancien régime. Le ministère se retira. Le roi Charles X appela à contre-cœur des ministres plus amis des idées nouvelles. M. Royer-Collard fut nommé président de la chambre des députés. Pendant les deux sessions de 1828 et 1829, le ministère fit de louables efforts pour concilier les intérêts de la liberté et ceux de la prérogative royale. M. Royer-Collard se montrait satisfait de la conduite que tenaient les ministres; il essayait de contenir ceux de ses amis qui voulaient que, dans les lois sur les communes et les départemens, on fît une plus grande part à l’influence populaire. Il leur disait : « Vous ne connaissez pas le roi Charles X; vous le pousserez à quelque extrémité fâcheuse. » Sa voix ne fut pas entendue. Le ministère ne put faire recevoir la loi sur l’organisation départementale et

  1. M. de Rémusat, discours de réception à l’Académie française.