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prévenus. » C’est ainsi que la sagesse du monde l’emporte quelquefois sur celle des sages.

Telle fut la fin de M. Royer-Collard. Il n’en souffrit d’autres témoins que les membres les plus proches de sa famille, le médecin et le curé; il n’y appela personne du dehors; il voulut par-dessus tout n’en pas faire une conversion d’apparat. Cette mort fut digne de sa vie; on y retrouve cette grandeur sans exagération, cette dignité sans emphase que M. Royer-Collard portait dans ses actes comme dans ses paroles. Sa vie publique et sa vie privée avaient fait briller les mêmes vertus : la force de la volonté, le goût des choses difficiles, le respect pour la vraie piété et pour les progrès de la raison. Dans les écoles, il fonda l’enseignement de l’histoire, pour éclairer la connaissance du temps présent par celle du temps passé; il réforma l’enseignement de la philosophie, pour éloigner la jeunesse du culte des intérêts sensibles. Dans la carrière politique, il prit en main la cause de la dignité humaine et de l’égalité des droits, qui en est inséparable. Sa résistance aux tentatives rétrogrades de la restauration lui donne un caractère à part. Beaucoup d’autres étaient dans l’opposition, parce qu’ils ne pouvaient pas n’y pas être. Soit qu’ils eussent servi un pouvoir passé et qu’ils fussent suspects au pouvoir nouveau, soit qu’ils voulussent détruire non pas les préjugés de la dynastie, mais la dynastie elle-même, ils étaient forcés de parler et d’agir contre elle. M. Royer-Collard, avec la faveur que lui donnaient auprès du roi ses anciens services, avec la loyauté et la fidélité qu’il ressentait pour la personne des princes, vint s’asseoir volontairement sur les bancs de l’opposition, et son unique motif fut la défense des intérêts de la France nouvelle. La résistance des premiers avait été nécessaire ou intéressée : celle de M. Royer-Collard fut libre et dictée uniquement par sa conscience; elle est une preuve éclatante de l’élévation de ses sentimens, de la perspicacité de sa raison, de la fermeté de son caractère et de son profond amour du pays.


ADOLPHE GARNIER.