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mais le sang qui coule dans les massacres populaires, versé aussi par des mains françaises ; est-il moins affreux à penser ? Ah ! si Mirabeau avait jamais voulu la guerre civile par haine ou par ambition, il faudrait flétrir sa mémoire ; mais s’il a vu et s’il a compris avec la terrible prévoyance qu’il avait que la France, poussée au mal de tous les côtes, n’avait plus qu’à choisir entre les épouvantables massacrés de l’anarchie et les violence de la guerre civile, s’il a eu devant les yeux cet horrible avenir, si sa pensée a eu à faire ce choix déchirant, qui pourra le blâmer de s’être dit avec désespoir, mais avec énergie : Oui, la guerre civile plutôt que le massacre populaire ! oui, Moncontour ou Ivry plutôt que la Saint-Barthélémy ou les journées de septembre ! Voyons donc, avant de montrer comment Mirabeau en vient jusqu’à l’idée de la guerre civile, voyons comment il se figure l’avenir de la France, si on ne parvient pas à contenir la démagogie parisienne. « Si le plan que je viens de tracer, dit-il, n’est pas suivi ; si cette dernière planche de salut nous échappe, il n’est aucun malheur, depuis les assassinats individuels, jusqu’au pillage, depuis la chute du trône jusqu’à la dissolution de l’empire, auquel on ne doive s’attendre… La férocité du peuple n’augmente-t-elle pas par degrés ? N’attise-t-on pas de plus en plus toutes les haines contre la famille royale ? Ne parle-t-on pas ouvertement d’un massacre général des nobles et du clergé ? N’est on pas proscrit pour la seule différence d’opinion ? Ne fait-on pas espérer au peuple le partage des terres ? Toutes les grandes villes du royaume ne sont-elles pas dans une épouvantable confusion ? Les gardes nationales ne président-elles pas à toutes les vengeances populaires ? Tous les administrateurs ne tremblent-ils pas pour leur propre sûreté, sans avoir aucun moyen de pourvoir à celle des autres ? Enfin, dans l’assemblée nationale, le vertige et le fanatisme d’un plus haut degré[1] ? » Voilà l’affreux avenir que voit Mirabeau, avenir qui touchait de fort près au présent, et qui est hélas ! devenu l’histoire de la France pendant près de cinq ans. C’est cet avenir qu’il voulait éviter à tout prix, même au prix de la guerre civile. « Je n’ai jamais cru à une grande révolution sans effusion de sang, écrivait Mirabeau, le 4 août 1790, au major de Mauvillon, et je n’espère plus que la fermentation intérieure, combinée avec les mouvemens du dehors, n’occasionne pas une guerre civile. Je ne sais même si cette terrible crise n’est pas un mal nécessaire[2]. » « Mirabeau, dit M. de La Marck, me répétait incessamment que, si le roi et la reine restaient dans Paris, nous verrions des scènes affreuses, que la populace allait devenir l’instrument des factieux, que l’on ne pouvait plus calculer

  1. Tome II, p. 483 486.
  2. Tome Ier, notes de l’introduction, p. 324.