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il gênait, par la multiplicité des entraves, la liberté des échanges internationaux; il arrêtait la circulation de la richesse. Aujourd’hui encore, ces critiques rétrospectives sont fréquemment reproduites. En théorie, elles sont peut-être fondées; mais est-ce à dire que le gouvernement des intérêts doive toujours et aveuglément se conformer aux règles absolues d’un système? Adam Smith, après avoir rappelé les événemens politiques qui avaient inspiré l’acte de 1660, s’exprime ainsi : « Il n’est pas impossible que quelques-unes des dispositions de cet acte célèbre aient été le fruit de l’animosité nationale. Elles sont néanmoins aussi sages que si elles eussent toutes été dictées par la plus mûre délibération et les intentions les plus raisonnables. La haine nationale avait alors en vue précisément le même but qu’eût pu se proposer la sagesse la plus réfléchie, c’est-à-dire l’affaiblissement de la marine de la Hollande, la seule puissance navale qui fût dans le cas de menacer la sûreté de l’Angleterre. » Et plus loin, Adam Smith ajoute : « Comme la sûreté de l’état est d’une plus grande importance que sa richesse, l’acte de navigation est peut-être le plus sage de tous les règlemens de commerce de l’Angleterre. » Le célèbre économiste anglais, que l’on ne soupçonnera pas à coup sûr de prédilection pour le régime prohibitif, ne se refusait pas à reconnaître qu’il peut se présenter des cas « dans lesquels il est, en général, avantageux d’établir quelque charge sur l’industrie étrangère pour encourager l’industrie nationale. » Et la grandeur maritime de l’Angleterre lui paraissait une condition si impérieuse de prospérité et même de salut pour le pays, qu’en faveur de cet intérêt prédominant, il n’hésitait pas à sacrifier, pour une circonstance donnée, la logique habituelle de ses théories libérales.

L’acte de navigation n’a pas été seulement défendu par Adam Smith : il est suffisamment justifié par l’autorité des faits. Tous les témoignages de l’histoire attestent que la marine marchande de l’Angleterre se développa, dès la fin du XVIIe siècle, avec une énergie extraordinaire, et nous voyons aujourd’hui le degré de puissance qu’elle a atteint sous l’influence d’une législation qui l’a mise en mesure de défier désormais toute concurrence. — On objectera que la supériorité navale de l’Angleterre est indépendante de cette législation, et qu’elle se serait manifestée pareillement sous un régime de liberté. Cette objection peut être faite au profit de tous les systèmes qui n’ont point été soumis à l’épreuve de la pratique; mais, quanti l’acte de 1660 a produit de si merveilleux effets, qu’il a dépassé les espérances les plus ambitieuses, il est permis de douter que l’adoption du système contraire eût été également profitable, et nous croyons sincèrement que l’Angleterre au XVIIe siècle, c’est-à-dire en face de la marine hollandaise. qui s’était emparée de tous les transports, a sainement compris les intérêts de sa grandeur.