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dans l’histoire de la protection. Chacun trouve la prohibition détestable pour les autres, excellente pour soi.

Enfin, pour comprendre exactement la vigueur avec laquelle le gouvernement et les deux chambres ont procédé à la réforme, il suffit de considérer l’importance et la situation respectives des industries qui enrichissent ou honorent la Grande-Bretagne. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’influence politique et la sécurité du pays étaient attachées à la prospérité de la marine. L’acte de 1660, excusé, sinon glorifié par Adam Smith, assura à l’Angleterre l’empire des mers. En 1826, lorsqu’il défendait devant le parlement les traités de réciprocité, M. Huskisson pouvait dire encore que « s’il se présentait une circonstance où les intérêts du commerce et ceux de la navigation se trouveraient en conflit, les premiers devaient céder, et les seconds obtenir la préférence; » mais, depuis vingt ans, les hommes d’état de l’Angleterre ne sauraient plus professer, en faveur de la marine, des doctrines aussi exclusives. La fabrication a pris des développemens tels que la nécessité de faciliter et d’agrandir les débouchés est devenue de plus en plus impérieuse. Il faut procurer de l’emploi à des millions de bras; il faut sauver d’énormes capitaux engagés dans les opérations industrielles; il faut, en un mot, compter davantage avec les intérêts du commerce et des manufactures, conquérir le monde, non plus seulement au pavillon britannique, mais encore à ces vastes usines qui veulent être approvisionnées en matières premières et déchargées de leurs produits, n’importe par quels navires et sous quel pavillon. La richesse, la grandeur politique, la sécurité sociale de l’Angleterre, sont désormais à ce prix.

L’acte de 1849 a été mis en vigueur à partir du 1er janvier 1850. Il est impossible de juger une semblable réforme d’après une expérience de dix-huit mois. Cependant, à entendre les récriminations des protectionistes en Angleterre et certaines appréciations reproduites en France, il semblerait que déjà l’acte est condamné par ses premiers résultats. On assure que le pavillon anglais a peine à se défendre contre les rivaux qui le combattent de toutes parts, qu’il est surtout menacé, dans les guerres de l’Amérique et des Indes, par la marine des États-Unis, que les chantiers de construction sont moins actifs, que les matelots passent à l’étranger; mais ces allégations se trouvent en contradiction complète avec les chiffres officiels publiés par l’administration du Board of Trade. Dans un article récemment inséré ici même[1], M. Perodeaud a très exactement mis en lumière les résultats de la réforme. Il a prouvé que jusqu’à ce jour la concurrence étrangère n’avait porté aucune atteinte à la prospérité maritime de la Grande-Bretagne.

  1. Voyez la livraison du 15 août.