Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/344

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

verdure, au chant harmonieux des oiseaux que tu attendais la mort; tu n’étais pas immobile sur un grabat au milieu du tumulte de Paris! » — Ce collègue de Merlin qui se meurt à Paris, l’Allemagne sait bien que c’est le plus poétiquement doué de ses enfans; elle sait ce qu’il souffre, et combien il lui serait doux d’exhaler au moins son dernier soupir sur le sol natal. Devant cette tombe si tristement creusée avant l’heure, les plus sévères ont oublié leurs rancunes; ils ont pardonné les irrévérences du railleur pour ne plus songer qu’au poète. On lit avec une sympathie ardente tout ce que des amis, des visiteurs comme M. Stahr, écrivent sur l’Aristophane mourant. On compare les rapports, on discute les renseignemens; un mot, un vers, une opinion, sont commentés, et chacun espère y découvrir les transformations qu’il souhaite à l’esprit de l’écrivain : avec quelle avidité on dévorera le volume qui doit contenir ses novissima verba ! M. Heine, en effet, ne s’est pas laissé abattre par les affreuses souffrances qu’il endure; ces quatre années disputées à la mort, c’est la poésie qui en a profité; il triomphait des atteintes du mal par la force même de sa libre imagination, et, sur ce lit de douleur où nous le montrent les pages affectueuses de M. Stahr, il chantait comme Merlin dans la forêt de Brocéliande.

L’apparition d’un volume de poésies signées de l’auteur des Reisebilder a toujours été un événement dans la littérature allemande : il a été donné au spirituel humoriste de charmer son pays, alors même qu’il le blessait le plus cruellement par d’impitoyables sarcasmes. Chacun des recueils de M. Henri Heine a eu sa destinée particulière; quelles que fussent pourtant les différences, une même inspiration avait dicté tous ses chants, et on peut dire qu’un même succès les couronna. L’Allemagne était à la fois séduite et troublée. Cette poésie si gracieuse et si désolante, ces frais lieder qui distillent du poison, ces satires où une raillerie fantasque semble bouleverser tout, littérature et politique, philosophie et religion, tandis qu’elle ne fait que mettre à nu les ruines morales du pays de Hegel; toutes ces compositions, à la fois bizarres et charmantes dans la forme, profondes, quand l’auteur le veut, par la pensée qui s’y cache, devaient avoir et ont eu en effet une action singulière sur la conscience publique. On ouvrait ces livres avec curiosité, avec inquiétude, avec terreur parfois; on était irrité ou ému, on ne pouvait rester indifférent.

Depuis qu’on sait en Allemagne que M. Heine demande à la poésie la consolation et l’oubli de ses souffrances, l’attention, toujours prête pour les écrits de ce brillant satirique, est plus vivement excitée que jamais. A la curiosité purement littéraire s’ajoute naturellement une émotion profonde, et puis ce sont des conjectures de toute sorte : qu’aura-t-il tenté cette fois? disent les uns. Est-ce un frère d’Atta-Troll qu’il va nous donner ou un dernier chapitre du Conte d’hiver? Son talent, disent les autres, ne pourrait-il se renouveler d’une manière inattendue et entrer dans une phase meilleure? Que pense-t-il en philosophie et en religion? Dans une préface étincelante, il persillé fort joyeusement ce qu’il appelle le haut clergé de l’athéisme; il déclare qu’il a renoncé à ses vieilles cireurs; il s’attend aux anathèmes des hégéliens, parce qu’il a cessé de garder les pourceaux avec eux; il est revenu enfin à la foi du genre humain; il croit à un dieu personnel et à l’immortalité de l’ame. Qui sait si nous n’assisterons pas à une métamorphose du poète, et si ce ne sont pas des strophes sérieuses qui vont s’élancer de ses lèvres?