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Edith au col de cygne marchait bravement les pieds nus dans le sang. De ses yeux fixes s’élançaient, comme des flèches, ses regards ardens à la poursuite.

Elle cherchait à gauche, elle cherchait à droite: plus d’une fois, il lui fallut chasser avec peine les bandes de corbeaux affamés. Les moines haletaient derrière elle.

Elle avait déjà cherché tout le jour, et le soir était venu. — Tout à coup, de la poitrine de la pauvre femme, sort un cri aigu, épouvantable.

Edith au col de cygne a trouvé le cadavre du roi Harold. Elle ne dit pas un mot, elle ne verse pas une larme, elle baise le visage, le pâle visage.

Elle baise le front, elle baise la bouche, elle tient le corps étroitement embrassé; elle baise la poitrine du roi, la blessure toute saignante.

Sur ses épaules elle remarque aussi, et elle les couvre de baisers, trois petites cicatrices de morsures amoureuses qu’elle avait faites dans des temps meilleurs.

Les moines, pendant ce temps-là, purent rassembler des branches d’arbre, et préparer la litière où ils portèrent le roi.

Ils le portèrent à l’abbaye de Waltham pour qu’on l’y ensevelît. Edith au col de cygne suivait le cadavre de son amour.

Elle chantait les litanies des morts d’une voix pieuse et enfantine. Cela résonnait lugubrement dans la nuit. Les moines marmottaient des prières.


GEOFFROY RUDEL ET MÉLISANDE DE TRIPOLI.

Dans le château de Blay, on voit sur les murailles les tapis que la comtesse de Tripoli a brodés jadis de ses mains industrieuses.

Elle y a brodé toute son ame, et des larmes d’amour ont trempé ces tableaux de soie qui représentent la scène suivante :

Comment la comtesse aperçut Rudel expirant sur le rivage, et reconnut aussitôt dans ses traits l’idéal de ses désirs.

Rudel aussi vit là pour la première et pour la dernière fois la dame qui souvent l’avait enchanté en songe.

La comtesse se penche sur lui, le tient embrassé avec amour, et baise sa bouche pâlie par la mort, sa bouche qui l’a si bien chantée.

Ah! le baiser de bienvenue a été en même temps le baiser d’adieu; en même temps ils ont vidé la coupe de la félicité suprême et de la plus profonde douleur.

Dans le château de Blay, toutes les nuits, on entend un murmure, un bruit, un frémissement vagues; les figures des tapisseries commencent tout à coup à vivre.