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de cent ans, sans barbe au menton et sans cheveux sur le crâne; il porte une petite camisole écarlate.

C’est le sacrificateur; il aiguise son couteau, il aiguise son couteau en souriant, et de temps à autre il cligne de l’œil du côté du dieu.

Vitzliputzli semble comprendre le regard de son serviteur; il agite ses cils et même il remue les lèvres.

Sur les marches de l’autel sont accroupis aussi les musiciens du temple, joueurs de timbales et sonneurs de cornes de vache ; c’est un tapage, c’est un vacarme!

Ali! quel tapage et quel vacarme ! et le chœur se joint à eux, chantant le Te Deum mexicain; — c’est comme un miaulement de chats.

Ah! quel miaulement de chats! mais de chats de la grande espèce, de ces chats que l’on nomme chats-tigres, et qui mangent des hommes au lieu de souris!

Quand le vent de la nuit chasse toutes ces clameurs vers le rivage, les Espagnols campés en cet endroit sont dans la situation pitoyable de gens qui ont mal au cœur.

Tristes sous leurs saules pleureurs, ils restent là, regardant la ville, qui, dans les flots sombres du lac,

Reflète (avec moquerie, on le dirait) toutes les flammes de sa joie. Ils sont comme au parterre d’un grand théâtre.

Et la plate-forme illuminée du temple de Vitzliputzli est la scène où, pour la fête de la victoire, un tragique mystère va être représenté.

« Sacrifice humain, » tel est le titre de la pièce. Bien vieille est la matière, et bien vieille la fable; exécuté par les chrétiens, le drame n’est pas si horrible;

Car le sang a été transsubstantié en vin rouge, et le corps est devenu une mince et innocente feuille de pain.

Mais cette fois, chez ces sauvages, la plaisanterie était grossière et sérieuse. On mangeait de la chair, on buvait du sang qui était du sang humain.

Cette fois, c’était du pur sang de vieux chrétiens, du sang qui ne s’était jamais mêlé au sang des Mores et des Juifs.

Réjouis-toi, Vitzliputzli, réjouis-toi, il y a aujourd’hui du sang espagnol, et de ses chaudes vapeurs tu vas réconforter ton nez glouton.

Aujourd’hui on va t’abattre quatre-vingts Espagnols, fiers rôtis pour la table de tes prêtres qui se régalent de chair;

Car le prêtre est homme, et l’homme, ce pauvre animal condamné à paître, ne peut vivre seulement d’odeur et de vapeur comme les dieux.

Écoute! la timbale de la mort retentit déjà, et la corne de vache crie d’une manière sinistre! Elles annoncent le cortège qui monte, le cortège de ceux qui vont mourir.