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précieux et digne de mémoire, Il y a dans ce petit essai de trop visibles prétentions an bel-esprit et parfois un goût douteux, — ce qui est bien plus sensible encore dans quelques poésies ou parodies politiques dont M. Dufaï accompagne son poème. Le mauvais goût et même le ridicule chez un romantique, soit ! mais suffit-il d’être un classique et de cravacher si cavalièrement les romantiques pour en être exempt ?

Jetez un moment les yeux derrière vous et autour de vous : altération des notions vraies, corruption de l’histoire et de la plupart des genres littéraires, culte exalté du travestissement, amour du sophisme et de la déclamation creuse, fantaisie quintessenciée, allanguissement de l’inspiration poétique supérieure, — cela n’est point une nouveauté sans doute. Le malheur de notre temps, c’est qu’il s’y joint de tous les côtés, dans la masse des esprits, une absence complète de sévérité pour toutes ces choses. Cette conscience assurée qui sent le vrai et l’aime d’un amour ardent, qui flaire le faux sous ses triples voiles et le hait d’une haine ardente, nous ne l’avons pas. — pour peu que l’esprit mauvais se déguise, prenne des dehors décens et condescende, par exemple, à ne point immoler totalement l’histoire à l’idée démocratique, nous lui savons gré de ses efforts, nous l’honorons, nous lui donnons la couronne des maîtres, comme cela est arrivé récemment à l’Académie. Nous appelons cela douceur de mœurs et impartialité, lorsque le droit extrême n’est que le droit juste de la défense pour la société assiégée par une légion de fantômes et enlevée de ses bases par l’artifice violent ou doucereux des rhéteurs. Ah ! si tous ceux qui tiennent une plume et ont à cœur la juste renommée de leur art savaient ou voulaient lire dans le douloureux livre des expériences contemporaines, comme ils verraient bien vite que le faux et l’artificiel sont des instrumens de stérilité et de décadence, et qu’il n’y a d’autre moyen pour l’art littéraire de se rajeunir que de se rapprocher du vrai, du simple et du réel ! Voltaire écrivait un jour des Délices à Rousseau : « Il faudrait venir respirer l’air natal, jouir de la liberté, boire avec moi du lait de nos vaches et brouter nos herbes… » C’était après le Discours sur l’inégalité des Conditions que le malicieux vieillard écrivait ainsi à Jean-Jacques : il le croyait échauffe et malade d’un tel effort de sophisme. Voilà bon nombre d’années que nous écrivons notre Discours sur l’inégalité des Conditions, et que nous le mettons sous toutes les formes. Allez respirer l’air natal ! allez brouter vos herbes ! c’est-à-dire : allez vers le vrai et le simple, et vous verrez ce qu’ils peuvent pour la santé de l’esprit et pour la puissance de l’inspiration littéraire.


ch. de mazade.



V. de Mars.