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Tasso, malgré les couleurs, un peu trop brillantes, du portrait de Guidobaldo, tracé dans le onzième chant. De telles œuvres contrastent heureusement avec les écrits que nous avons mentionnés, comme la protection légitime dont le père du Tasse fut l’objet semble une expiation des grâces accordées aux Arétin et aux Doni.

Bernardo Tasso avait été long-temps secrétaire de Ferdinand Sanseverino, prince de Salerne. L’habileté avec laquelle il s’était acquitté de plusieurs missions importantes, le talent qu’annonçaient ses premières compositions littéraires, furent d’abord généreusement rémunérés. Bernardo put acheter à Sorrente une petite maison où il se retira avec sa femme, et où Torquato naquit en 1544. Il y mena huit ans cette vie calme et studieuse dont ses Lettres nous offrent le poétique tableau ; mais le prince de Salerne passa au service de la France, et Bernardo, privé de son bienfaiteur, dut s’arracher à ses travaux pour aller chercher fortune à Rome et un peu plus tard à Ravenne. Il y végétait depuis quelques mois, écrasé par la misère et le désespoir où l’avait jeté la mort de sa femme, lorsqu’il reçut de Guidobaldo l’invitation de se rendre auprès de lui. Établi, à son arrivée à Pesaro, dans une villa attenante au palais et qui existe encore, il acheva en paix son Amadis, commencé depuis quatorze ans. Son fils ne tarda pas à le rejoindre, et il lui fut permis de profiter des leçons qu’on donnait au prince héritier. À compter de ce moment, les deux Tasse se virent traités à la cour avec une bienveillance qui ne se démentit pas et que justifiaient complétement le caractère et le talent de l’un, les éclatans débuts de l’autre. Ce nom promis à la gloire inspirait déjà le respect, et l’on pressentait peut-être qu’il allait être immortalisé par le chantre de la Jérusalem, quand il devait encore son illustration principale à l’auteur de l’Amadis.

Le long poème de Bernardo Tasso eut, à l’époque de sa publication, un succès presque égal à celui qu’avait obtenu quarante ans auparavant la brillante épopée de l’Arioste. Aujourd’hui, il faut quelque courage pour mener à fin la lecture des cent chants dont se compose. cet interminable Amadis, et nous ne croyons pas qu’arrivé au bout de l’entreprise, on soit tenté d’imiter Guidobaldo, qui la recommençait, dit-on, plusieurs fois par an. Beaucoup de morceaux révèlent sans doute une grande richesse d’imagination ; certaines descriptions se distinguent par la grâce du style et la fraîcheur du coloris ; mais le ton général de l’œuvre a quelque chose de délayé et d’inconsistant. On y reconnaît la facilité de la main, pour ainsi dire, plutôt que la force de la pensée : en un mot, la manière de Bernardo est celle des peintres de l’époque qui, suppléant au sentiment par la pratique, commençaient à faire montre de dextérité et ne visaient plus qu’à éblouir.

Le moment de la décadence absolue n’était pas encore venu pour la peinture italienne, mais déjà tout menaçait ruine, et les artistes, qui