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charge plus légère, A l’arrivée, les morceaux de toile étaient réunis, les piquets fixés en terre ; l’on étendait de la paille ou des branchages ; les selles servaient d’oreillers ; puis, la nuit venue, les chasseurs, se serrant les uns contre les autres, dormaient, ma foi, mieux que beaucoup dans un lit de plume. Tout léger que soit cet abri, il a sauvé bien des soldats en les préservant des rosées humides de la nuit et des pluies torrentielles de l’hiver. Les faisceaux bien formés, les tentes alignées, les chasseurs toujours propres, donnaient de la coquetterie à ce bivouac. Jamais on n’eût rencontré un des hommes de ce corps dont le pantalon de corvée ne fût pas d’une blancheur irréprochable. C’était une tradition du régiment. Les officiers avaient l’ordre d’y veiller avec le plus grand soin : rien, en effet, n’influe comme le manque de soins et la mauvaise tenue sur le moral et la vigueur d’une troupe.

S’il en était ainsi les jours ordinaires, pour les inspections chacun faisait merveille, et le lendemain, lorsque je passai, suivant l’ordre donné au maréchal-des-logis, la revue du peloton, je n’eus pas une observation à faire. Chaque cavalier seulement plaidait en faveur de son cheval, le déclarant maigre et mal portant, afin d’obtenir pour son ami le supplément de ration. Tous, jusqu’aux animaux attachés à la suite, étaient d’une tenue irréprochable.

C’est là encore un des traits du caractère de ces hommes : vous ne trouverez pas une troupe qui n’ait son chien choyé, fêté comme l’enfant de la maison. Celui du peloton, gros comme les deux poings, tout blanc, avec une large tache noire sur l’œil gauche, était bien le plus rusé, le plus charmant enjôleur que j’eusse jamais rencontré. Des mines impayables, des agaceries sans fin, tiraient toujours M. Tic-Tac d’embarras. Que la marche fût trop longue, Tic-Tac aboyait et grossissait si bien sa petite voix, qu’un chasseur, quittant son étrier, tendait le pied ; alors Tic-Tac s’élançait, et en deux bonds avait gagné la selle. Là, debout sur l’arçon, fier comme un roi, il semblait narguer les chiens d’infanterie, qui s’en allaient tirant la langue, traînant la patte. Quand Tic-Tac se voyait oublié dans la distribution des vivres, il se plaçait devant une gamelle, et prenait la position du soldat qui présente les armes. La grimace était si drôle, que chacun partageait son biscuit avec ce s…. Tic-Tac, comme ils disaient. On rira sans doute. Pourtant c’est avec ces riens-là, ces amusemens d’enfans, que les esprits se maintiennent alertes et dispos, qu’une troupe conserve la santé et la vigueur. Par tous ces moyens, en Afrique, on cherche à tenir les soldats en belle humeur. Le soir, vous eussiez vu les hommes de notre petite garnison jouer comme de vrais collégiens au chat et à la souris. Deux soldats, les yeux bandés, étaient attachés par deux cordes d’égale longueur à un même piquet. La souris tient dans sa main deux petits morceaux de bois qu’elle frotte sans cesse l’un contre