Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/496

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des connaisseurs, lors même qu’elles n’obtiennent pas leur assentiment. S’il ne touche pas toujours le but qu’il a rêvé, il faut du moins reconnaître qu’il n’épargne rien pour l’accomplissement de ses desseins, et, dans le temps où nous vivons, c’est un mérite assez rare pour que nous prenions la peine de le signaler. M. Gleyre conçoit l’art dans sa plus haute acception, et ne l’a jamais confondu avec l’industrie. C’est à cette cause qu’il faut rapporter le petit nombre de ses œuvres. Bien des peintres qui ne possèdent pas la moitié de son savoir multiplient sans effort des compositions qu’un jour voit naître et périr. Contens d’eux-mêmes, ne rêvant rien au-delà de ce qu’ils font, ils donnent volontiers le signal des applaudissemens, et parfois la foule consent à les croire sur parole. Bientôt le bruit cesse, et la toile applaudie retourne au néant. La renommée de M. Gleyre n’est pas aujourd’hui ce qu’elle devrait être : il ne s’agit pas en effet dans le domaine de l’art de compter, mais bien de peser les œuvres. Aussi je crois accomplir un acte de justice en étudiant ce qu’il a fait avec une attention scrupuleuse, et j’espère que cette étude prouvera aux plus indifférens toute l’importance de ses travaux. S’il n’occupe pas encore le rang qui lui appartient, j’ai la ferme confiance que l’heure de la réparation n’est pas éloignée : la grâce et la pureté de son talent ne peuvent manquer d’obtenir bientôt la popularité qu’elles méritent.

M. Gleyre fut placé par le hasard chez un maître dont il n’a guère suivi les leçons. Géricault élève de Guérin, Barye élève de Bosio, ne sont pas plus singuliers que Gleyre élève de M. Hersent. La génération nouvelle connaît à peine le nom de ce dernier maître, qui continue pourtant d’enseigner la peinture à l’École des Beaux-Arts de Paris. Son œuvre capitale, son Gustave Wasa, a péri dans les flammes, et peut-être devra-t-il à cette catastrophe une renommée bien supérieure à celle qu’il pouvait attendre; car cette œuvre, interprétée par le burin savant d’Henriquel Dupont, et qui a établi la gloire du graveur il y a vingt ans, était loin de valoir sur la toile ce qu’elle vaut sur le papier. Le burin, plus habile que le pinceau, a donné à la pensée de M. Hersent une précision, une harmonie parfaitement inattendues. Le peintre doit des actions de grâces au feu qui a dévoré son tableau; car, dans un siècle ou deux, les érudits, en consultant la planche d’Henriquel Dupont, le classeront peut-être parmi les artistes éminens de la France, et Dieu sait qu’il n’a rien fait pour mériter un tel honneur. Son Gustave Wasa n’offrait qu’une scène purement théâtrale; le burin, par une heureuse infidélité, a trouvé moyen d’élargir, de transformer cette première donnée. Les personnages sont demeurés groupés comme au cinquième acte d’un drame du boulevard ; mais le graveur a mis tant d’élégance et de finesse dans les têtes, tant de souplesse et de vérité dans les costumes, qu’il nous a révélé une œuvre toute nouvelle.