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habitans à douze mille, partagés en sept paroisses ou mahallehs, dirigées par deux évêques assistés d’un clergé nombreux.

Cette prospérité ne dura pas cependant, et, sous les successeurs de Chàh-Abbas, les chrétiens de Djoulfah furent en butte à d’odieuses persécutions, qui ne les empêchèrent point, au jour du danger, de se rallier généreusement autour du chah Hussein, que les Afghans assiégeaient dans sa capitale ; mais la lâcheté du prince rendit cet héroïsme inutile, et les Afghans, vainqueurs des Persans presque sans combat, firent porter sur les chrétiens de Djoulfah tout le poids de leur colère. Malgré de si rudes épreuves, cette ville se releva encore, et, au commencement du siècle dernier, elle comptait jusqu’à soixante mille ames. De nouvelles persécutions devaient, sous le règne de Nadir-Chàh, décimer cette population et contraindre un grand nombre d’Arméniens à émigrer dans la Géorgie ou dans l’Inde. Ces persécutions furent heureusement les dernières, et avec le commencement de ce siècle s’est ouverte pour les Arméniens une ère plus calme, qui n’a point été sérieusement troublée jusqu’à ce jour.

Telle est en quelques mots l’histoire de Djoulfah. Quant aux monumens que renferme le faubourg arménien d’Ispahan, ils sont en petit nombre. On y compte cependant quelques églises, parmi lesquelles il en est une qui mérite une mention particulière. De tous les édifices religieux de Djoulfah, c’est sans contredit le plus vaste et le plus beau. Cette église a son entrée dans une grande cour sur laquelle donnent les bâtimens habites par les premiers dignitaires du clergé arménien du pays. Elle a une coupole, comme les mosquées, mais sans revêtement d’émail ; sa façade, simple et élégante, présente deux rangs de trois arcades superposées, dont les archivoltes et les tympans sont ornés de dessins en mosaïques. Près de l’église s’élève un campanile de construction assez élégante, et qui contient deux cloches qu’on frappe avec un marteau au lieu de les mettre en branle, ce qui ne laisserait pas d’avoir ses dangers dans un pays où la solidité des constructions est un des moindres soucis de l’architecte. L’intérieur de cette église rappelle les chapelles italiennes et grecques. Il y règne un mystérieux demi-jour qui invite au recueillement, et, contrairement à l’usage des Arméniens, qui n’admettent dans leurs sanctuaires d’autres images que celles de la Vierge et de l’enfant Jésus, les murs sont couverts de peintures[1]. Les autres églises de Djoulfah sont petites et

  1. On raconte que c’est à un riche marchand nommé Avadik que l’église de Djoulfah doit ces peintures. Ce marchand avait voyagé en Italie, et les chefs-d’œuvre de l’école italienne l’avaient vivement frappé. De retour à Djoulfah, il réussit, à force de supplications et peut-être d’argent, à vaincre la résistance du clergé arménien, et la blancheur immaculée du sanctuaire de Djoulfah disparut sous une profusion de peintures, malheureusement insignifiantes.