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tions commerciales très étendues. C’était un des riches négocians de ce littoral ; ses relations s’étendaient à Bassorah, à Bombay et jusqu’à Mascate. Il parlait le persan, l’anglais, l’arabe, et naturellement l’arménien. Son costume était tout aussi bigarré : Aga-Youssef était Persan par son bonnet ou coula de peau d’agneau noir, Anglais par une veste de percale blanche, comme on en porte au Indes, Arabe par les babouches dans lesquelles il passait le bout de ses pieds ; quant à sa nationalité paternelle, elle se révélait par plusieurs menus détails de sa toilette étrange. Avec un pareil accoutrement, soutenu par une langue polyglotte, Aga-Youssef-Malcolm pouvait se présenter devant des nationaux de quatre pays différens comme un demi-compatriote. Nous seuls Français, nous ne trouvions en lui rien qui rappelât notre pays, si ce n’est la politesse et l’obligeance extrême de cet excellent homme.

Aga-Youssef, je l’appellerai ainsi par abréviation, nous avait conduits dans une petite maison qui lui appartenait. Il nous y installa, y fit apporter tout ce qui pouvait nous être utile, et nous dit de nous considérer là comme chez nous. Il exerçait l’hospitalité avec une générosité et une aisance qui nous surprenaient beaucoup. Nous nous applaudissions de l’avoir rencontré et de ne pas être restés au milieu des décombres du palais que nous avait offerts pour demeure Cheik-Abdoullâh. À la fin de la journée, Aga-Youssef, pour nous faire honneur, avait rassemblé en ville et dans les factoreries du port tout ce qu’il avait pu rencontrer d’Arméniens de sa société, et nous les amena. Chacun d’eux nous adressa toute sorte de complimens sur notre arrivée à Bouchir, sans omettre de faire à son tour ses offres de service. La conversation ne tarda pas à s’engager sur la politique, sur la guerre de Syrie. Les interlocuteurs gardaient à l’endroit de l’Angleterre un silence prudent, et nous n’eûmes aucune peine à deviner qu’ils inclinaient tous grandement de ce côté. C’était évidemment une société dévouée aux Anglais, sans doute une de ces avant-gardes comme ils savent en placer avec habileté sur tous les points du globe où le gros de leur armée n’est point encore arrivé. Notre position vis-à-vis de ces partisans de l’Angleterre était délicate. Nous nous observions et nous tenions constamment sur la réserve ; nous devions respecter les sentimens secrets de notre hôte, et nous ne pouvions même lui faire un reproche de servir les intérêts de l’Angleterre plutôt que ceux de la Perse. Les Arméniens ne sont plus, à vrai dire, une nation. Semblables aux Juifs, ayant, pour ainsi dire, subi les mêmes vicissitudes, les mêmes malheurs, dispersés sur la surface du continent asiatique, les Arméniens errent de côté et d’autre, ne demandant au lieu qu’ils habitent que les moyens de vivre de leur industrie. Honnis par les musulmans, vexés par le gouvernement persan, ils ne se sont