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sont plus hautes et plus larges ; elles sont munies, à leur partie supérieure, d’une grande ouverture par laquelle s’établit la circulation de l’air. Ces appareils ventilateurs se voient dans d’autres villes de Perse ; mais c’est surtout dans celles du sud qu’ils sont communs à cause de la chaleur. L’intérieur de Bouchir présentait, lorsque nous y étions, un aspect désolé. Nous y vîmes des quartiers complètement abandonnés, des maisons fermées ou en ruines. Cette cité avait été récemment dévastée par le choléra et la peste. Les trois quarts de la population avaient succombé dans ces épidémies successives, et le peu de mouvement qu’on remarquait dans les bazars comme dans le port était dû aux voyageurs ou aux caravanes du commerce.

Le quai est la partie la plus animée de la ville ; c’est là que se trouvent ce que j’appellerai les factoreries, c’est-à-dire de grandes maisons où sont les magasins et les comptoirs des principaux négocians, qui sont à la fois expéditeurs, importeurs et commissionnaires. Dans ces entrepôts, on trouve des marchandises de toute espèce et de tous pays : à côté des soieries, des cotonnades, des vins, des drogues, des noix de galle, de l’eau de rose, des pierreries et même de l’or monnayé, qui viennent de tous les points de la Perse, on voit des indiennes, de l’ivoire, des épices, du thé, des verreries, du café, des porcelaines, des draps, des glaces, du sucre, des cordages et des esclaves envoyés de Bombay, de Malabar, de Mascate ou de Bassorah. Devant les factoreries fument, assis nonchalamment au soleil, les marins arabes qui regardent, en jouissant de leur paresse, leurs bagalos se balancer sur la mer. Une population de portefaix, la plupart arabes aussi, s’agite, va, vient en heurtant les passans, et porte les ballots qu’on embarque ou ceux qui viennent d’être tirés de la cale des navires. C’est là seulement qu’est la vie de Bouchir. Les bazars n’y sont rien : petits, sales, obscurs, dépourvus de marchandises, ils ne sont occupés que par quelques brocanteurs juifs, ou par quelques pauvres ouvriers arméniens. Il y régnait cependant, durant notre séjour, une animation inaccoutumée. Je remarquai que les étalages étaient transformés en arsenaux, où figuraient des sabres, des pistolets, des fusils, et tout l’attirail de guerre des Persans. On craignait évidemment d’avoir à repousser une agression d’un moment à l’autre. Le cheik avait donné des ordres pour que tous les habitans fussent prêts à la première alerte, et tous indistinctement étaient tenus de courir aux portes et aux murailles. Il y avait bien un peu d’exagération dans ces appréhensions, qui tenaient ainsi en émoi toute la population. Néanmoins il était réel que Bouchir était le point de mire d’une insurrection fomentée dans le Loristân. Nous sûmes en effet que, quelques jours avant notre arrivée, le khân de la petite ville de Bebahân, sur la route de Chouchter, depuis long-temps rebelle à l’autorité royale, avait tenté de faire enlever