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asiatiques. Il serait impossible que dans de semblables conditions la justice ne fût pas abandonnée à la vénalité la plus éhontée; c’est ce qui a lieu, et le plus riche ou le plus fort a toujours gain de cause. Les affaires litigieuses n’en sont pas moins soumises à certaines formalités. Déférées au châh ou au beglier-bey, elles sont soumises à un divân-i-khânèh ou tribunal. Ce tribunal examine les pièces du procès, il l’instruit, prend une décision; mais, avant de rendre le jugement, il doit réclamer la sanction de l’autorité supérieure, qui admet ou rejette l’opinion des juges. Pour les affaires qui intéressent l’état ou la couronne, le châh dicte sa volonté; pour celles d’une moindre importance, les tribunaux sont composés de mollahs et de personnages auxquels leur savoir, leur position donnent place au divan. Le cheik-el-islam, le chef de la religion, est dans chaque ville le grand juge; c’est devant lui qu’on plaide en dernier ressort. Quant aux délits ordinaires, ils sont jugés par les magistrats ou officiers de police placés sous la juridiction immédiate des begliers-beys.

Indépendamment de ces tribunaux, il y en a un dans chaque localité, qui est permanent et rend une justice sommaire : c’est celui du darogâh. Ce magistrat est en même temps chef de la police et intendant général des bazars, qui sont placés sous sa surveillance particulière. C’est devant lui que se traitent les affaires de peu d’importance, les différends, les querelles; ce juge est très expéditif, et, séance tenante, il rend son verdict, trop souvent favorable à celui qui a tort, quand le coupable paie bien; aussi la charge de darogâh est-elle considérée comme très lucrative. Le darogâh a ses gardes particuliers, ses estafiers, qui sont armés jusqu’aux dents et connaissent très bien les voleurs. On accuse ces magistrats de s’entendre parfois avec les larrons et de partager les produits de leurs vols. Je ne saurais affirmer qu’on les calomnie : cependant j’ai été témoin de la sévérité avec laquelle un chef de police punissait certains délits. Depuis long-temps, la population de Téhéran se plaignait de la mauvaise foi des boulangers et des bouchers. Plusieurs d’entre eux avaient reçu la bastonnade, avaient payé de fortes amendes, et les plaintes continuaient toujours; elles furent portées jusqu’au pied du trône, et le châh rendit le darogâh responsable des méfaits dont était victime le peuple de la capitale. L’intendant de la police fut obligé d’y regarder de plus près et de sévir. Il vérifia par lui-même ce qu’il y avait de fondé dans la rumeur publique, et promit de faire un exemple. Un jour, il se transporta à l’improviste chez deux des marchands les plus mal famés: c’étaient un boulanger et un boucher du bazar; il les trouva en faute : la populace était ameutée devant leurs boutiques et demandait un châtiment sévère pour les vols dont elle avait été pendant trop long-temps victime. Le boucher, moins coupable que le boulanger, fut cloué par l’oreille à la devanture de son étal; quant à