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le château de Carisbrooke avait pour gouverneur le comte de Portland, lord-lieutenant, ou, comme on disait alors, capitaine de l’île de Wight. Il était suspect à Cromwell pour son attachement aux Stuarts ; lady Portland surtout passait pour très royaliste. Portland fut mandé à Londres pour justifier sa conduite. Il paraît qu’il aimait à s’amuser et menait bonne vie dans son gouvernement, car, parmi les griefs articulés contre lui pour motiver sa destitution et sur lesquels il eut à répondre devant les meneurs du parti puritain, on voit figurer comme chef d’accusation « la grande quantité de poudre qu’il avait brûlée en réjouissances et celle de vin qu’il avait bue en santés depuis qu’il était entré en fonctions comme capitaine de l’île, où il n’avait cessé de se livrer à toutes sortes de joyeusetés[1]. » Quelque frivoles que parussent les charges élevées contre lui, il n’en fut pas moins jeté en prison. La nouvelle de cet acte d’injuste rigueur souleva presque la population de l’île, où Portland était extrêmement populaire ; mais, après mûre réflexion, les habitans, prudens politiques, finirent par envoyer leur adhésion au parlement, en y joignant toutefois une pétition dans laquelle ils demandaient avec instance qu’on leur rendît leur cher gouverneur.

D’un autre côté, le parti républicain, opposé à Portland, ne restait pas inactif ; son chef, Moses Read, maire de Newport, homme influent dans sa localité, représenta au parlement que l’île ne serait jamais tranquille tant que lady Portland demeurerait a Carisbrooke, et qu’il fallait à tout prix l’en faire sortir. Se reposant sur l’affection que le peuple portait à son mari, la comtesse s’était réfugiée dans le château, et avait réclamé pour elle et ses cinq enfans la protection du colonel Brett, qui y commandait au nom du roi une faible garnison de vingt hommes. Lady Portland comptait sur quelque changement politique, et voulait seulement gagner du temps ; elle espérait que sa présence et son savoir-faire contribueraient à conserver la citadelle à la cause royale.

Cependant la prudence du parlement était éveillée ; il s’empressa de mettre les équipages des navires de guerre mouillés dans la Medina à la disposition de Read, qui, se voyant désormais soutenu par une force suffisante, s’avança sans plus tarder, à la tête de la milice de Newport et de quatre cents marins armés, sous les murs de la forteresse, qu’il somma de se rendre. Alors la comtesse parut sur le rempart, tenant à la main une mèche allumée ; elle déclara bravement quelle s’ensevelirait sous les décombres du château avec tous ceux qu’il contenait plutôt que de le rendre, et que, pour preuve de ses intentions. elle allait mettre elle-même le feu à la pièce de canon sur laquelle elle

  1. Acts of jollity.