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d’une maison de campagne ou de quelque modeste cottage. Au loin paraît la mer, et plus haut encore, les côtes du Hampshire bornent l’horizon. Sur la droite, des coteaux entièrement revêtus de moelleux gazons et semés de bouquets d’arbres déroulent jusqu’au fond des vallées leur manteau de velours vert dont un ruisseau d’argent dessine la bordure. Tantôt ce sont de coquettes chaumières parées de fleurs et à demi cachées sous des filleuls centenaires. Plus loin, sur une vaste pelouse que décorent des massifs d’œillets et de résédas, s’élève l’élégante habitation d’un squire. Pas un sentier de sable n’est tracé sur cette herbe délite, rasée d’aussi près que le drap le plus fin : aussi le soulier de satin s’y pose-t-il avec confiance. On dirait que dans ce pays du comfort il faille des tapis partout, même en dehors des maisons.

À un petit village appelé Wotton-Bridge, qui marque la moitié du chemin, on passe un pont sur une rivière, qui bientôt s’élargit et tourne vers le nord en disparaissant au milieu des bois ; ses deux rives sont entièrement couvertes d’arbres, dont les branches trempent dans des eaux où l’azur du ciel se reflète. Quel est le nom de cette gentille rivière ? C’est la mer, oui, la mer, qui pénètre ainsi sur plusieurs points du littoral et s’introduit sournoisement dans le pays pour vous faire de ces surprises.

J’ai déjà dit que les routes de l’île de Wight étaient entretenues comme les allées d’un parc ; elles sont en outre fréquentées par les équipages les plus fashionables ; il n’est pas jusqu’aux voitures publiques, que dis-je ? jusqu’au cart du cottager, qui ne participent à la bonne tenue de rigueur. Les vans des carriers[1], les charrettes de ferme, sont ici peints à l’huile, en rouge ou en bleu, et les cuivres de leurs harnais étincellent. Quant aux diligences, vit-on jamais rien de plus smart ? Je me sers d’un mot qui n’a pas d’équivalent en français ; je n’essaierai donc pas de le traduire. Avec quel plaisir je regardais relayer, à quatre heures, devant l’hôtel William de Shanklin, le Rocket, cet élégant stage-coach de Ventnor à Ryde ! Ses quatre jolis chevaux de pur-sang, avec leur rose coquettement attachée derrière l’oreille, semblaient en si bon état, que je ne leur voyais jamais un poil tourné, même après la côte de Luccombe, qu’ils montaient ordinairement au galop. Ce qui m’attirait aussi beaucoup, c’était l’amusant spectacle des douze ou quinze voyageurs perchés sur le toit de la voiture ; rien au monde n’a plus de couleur locale. Quant aux ladies out siders, drapées dans leurs tartans, je suis obligé de confesser qu’elles me paraissaient toujours charmantes.

Un romancier célèbre a prétendu que les Anglaises ne savaient pas marcher ; d’autres ont affirmé que c’était à cheval qu’il fallait surtout

  1. Voitures de déménagement pour le transport des effets et des paquets.