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empire obscur du droit abstrait, pas plus une société restaurée dans le goût féodal qu’une société régénérée dans le goût des radicaux. Une société ne vit pas de songes eu l’air, elle vit d’une loi écrite, comme l’homme vit de pain. Ce n’est point assurément parce que la loi est écrite qu’elle est une sauvegarde et une force, c’est parce qu’elle correspond autant qu’il est dans la faiblesse humaine aux sentimens impérissables de l’ordre et de la justice. Que si vous ne trouvez point la part de la justice assez largement faite, servez-vous de la loi pour réformer la loi ; mais n’allez point prêcher que la loi n’est rien, qu’elle ne compte pas, qu’elle n’astreint pas, et qu’il faut s’incliner de préférence devant ce droit supérieur que l’on suppose sans l’expliquer, que l’on remet au jugement de chaque individu, et qui, par cela même, livré comme il l’est au caprice des interprétations individuelles, ne saurait jamais devenir la règle de l’état. Non, nous ne voulons pas dans l’état, si l’on ose ainsi parler, cette règle irrégulière ; nous ne voulons pas accepter qu’après que la loi aura été conçue, discutée, sanctionnée par les pouvoirs légitimement institués pour la rendre valable, il soit encore loisible au premier apôtre ou au premier tribun de la fouler sous les pieds et de dire : Ce n’est que la loi, ce n’est pas le droit. Nous disons, nous, qu’il n’y a point de droit contre la loi, et qu’en un temps où il n’est pas toujours facile de démêler son devoir, on est encore trop heureux de posséder cette claire et visible lumière de la loi pour guider sa conscience. Nous n’avons pas d’illusion sur le prestige ou même sur le mérite des lois qui sortent de nos grandes assemblées modernes, nous ne les croyons pas toutes également vénérables et parfaites ; nous assistons de trop près au travail d’où elles émanent, nous sommes trop avant dans les secrets de leurs auteurs, nous avons trop aisément la clé de leur origine et de leur signification. Telles qu’elles sont pourtant, si mauvaises qu’on les prétende et que nous les connaissions, nous aimons mieux encore nous y tenir et les prendre pour inviolables que de les sacrifier à l’autorité arbitraire de ce droit transcendant que l’on invoque contre elles. Il est sage d’être en garde vis-à-vis de quiconque se réclame ainsi du droit éternel sous prétexte d’en faire jouir les autres : c’est plus souvent parce qu’il espère commander que parce qu’il a l’envie d’obéir. Sous les dehors dont se pare le missionnaire du droit éternel sous le manteau d’une foi si sublime, nous n’avons presque jamais vu que la fantaisie et quelquefois la rage de la domination. La mission même qu’il s’attribue est l’argument révolutionnaire par excellence : c’est l’exaltation de l’orgueil personnel s’appuyant, pour nier la règle commune, sur cette règle mystérieuse et souveraine du droit antérieur et supérieur.

C’est parce que nous comprenions tout le danger qu’il y a dans cette sorte d’argument, que nous nous sommes toujours abstenus d’y recourir, même lorsque la loi n’avait point notre affection. Nous ne pouvons nous vanter d’une sympathie bien profonde pour la constitution de 1848 : nous en avons ardemment sollicité la révision ; nous nous sommes bien gardés de la demander jamais en vertu de ces maximes avec lesquelles on renverse au lieu d’édifier. Nous avons demandé la révision légale, persuadés qu’on ne doit jamais désespérer de la légalité, persuadés par-dessus tout que la légalité, si lente, si laborieuse qu’elle soit, est encore un plus sûr chemin pour une nation que les voies de hasard et d’aventure où l’on peut l’entraîner en lui répétant qu’il n’y a point d’ob-