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un droit quelconque, un droit latent supérieur à la loi que le souverain décrète. Le message, au contraire, a proclamé très haut la perpétuité de ce droit latent, il trouve dans le suffrage conféré, non point au citoyen, mais à l’homme, « le seul principe qu’au milieu du chaos général la Providence ait maintenu debout. » Il espère rallier la France autour de ce principe, qui n’est fait que pour tout bouleverser, parce qu’il assied la base de tout dans le vague et dans le vide. Le président, c’est lui qui nous l’avoue, n’a jamais mis sa confiance dans cet autre principe de la loi du 31 mai, qui était pourtant le terrain solide sur lequel ses ministres s’unissaient de prédilection à la majorité, parce que sur ce terrain, qui est en même temps administratif et dogmatique, on résistait ensemble à la révolution. « Je n’ai jamais cessé de croire, dit le message, qu’un jour viendrait où il serait de mon devoir de proposer l’abrogation de la loi du 31 mai. » Autant vaudrait dire qu’on n’a jamais rompu avec la logique révolutionnaire. Il est vrai que le Moniteur prussien veut bien se joindre à nos nouveaux doctrinaires du suffrage universel, et nous prouver, d’accord avec ces convertis de fraîche date, qu’en la position actuelle de la France nous n’avons point de meilleure panacée. C’est pour cela sans doute que le cabinet de Berlin, qui jouit d’une fortune si prospère, retourne à présent d’un si grand train vers le beau idéal des diètes du moyen-âge, et ne cherche plus qu’à se débarrasser du peu qui demeure encore des récentes institutions parlementaires.

Ce n’est pas de nous-mêmes que nous expliquons ainsi le sens révolutionnaire qu’aurait eu fatalement chez nous, quoi qu’on dise en Prusse, l’abrogation pure et simple de la loi du 31 mai. La majorité de l’assemblée nationale ne l’a pas compris autrement, et les hommes qu’elle a chargés de parler pour elle se sont exprimés de la même façon. Que disait par exemple le rapport si complet et si ferme dans lequel M. Daru, examinant le projet de loi électorale annexe au message, proposait sans marchander de le rejeter à la première lecture ? Nous citons exprès ces paroles lumineuses, qui précisent on ne saurait mieux la question et la posent exactement comme nous l’avons posée : « Que nous demande-t-on ? L’on veut faire dater notre législation électorale non plus de l’époque où un ordre légal et régulier a été rétabli en France, mais de l’époque où des circonstances exceptionnelles avaient créé une autorité dictatoriale. On nous demande d’accepter, de reconnaître un principe qui ferait résider la souveraineté nationale dans les masses confuses et absolues, comprenant tout le monde, au lieu de le faire résider dans la généralité de tous ceux auxquels la loi reconnaît la capacité d’élire et d’être élus. » — Et plus bas : « Peut-on admettre cette imprudente théorie, que le suffrage universel n’est susceptible d’aucune règle ; qu’il est la souveraineté même du peuple toujours en action ; que ce droit de suffrage est indestructible dans l’homme, et qu’on lui doit réparation pour toute précaution, pour toute garantie légale dont on l’aura entouré ? »

Voilà bien le mauvais principe auquel on avait si sagement opposé le principe salutaire de la loi du 31 mai, ce principe tout différent, que M. Daru formule encore ailleurs en termes si catégoriques, à savoir que l’électoral doit être « la distinction du citoyen et non la faculté inhérente à l’homme. « Le rapport de M. Daru admettait sans doute dans la loi du 31 mai telle modification de détail que l’expérience aurait suggérée ; mais il ne tolérait point qu’on