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du seul homme d’état qui pût servir en Chine les intérêts de la civilisation européenne. Malheureusement sir John Davis se trouvait lui-même en présence d’opinions passionnées, dont il subissait involontairement l’influence, et qui ne laissaient point une entière liberté d’action à sa politique. Les négocians de Hong-kong, cruellement déçus dans les espérances qu’avait éveillées le traité de Nan-king, ne cessaient de répéter qu’il fallait une nouvelle campagne pour briser les obstacles qu’opposaient aux progrès du commerce maritime la mauvaise foi des autorités chinoises et la persistante hostilité des populations. Un système de taxes contraire à l’esprit du traité de Nan-king, un réseau de douanes intérieures avaient pu seuls préserver, suivant eux, l’industrie chinoise du sort qu’avait fait à l’industrie des Indes la concurrence écrasante des machines britanniques. C’était dans cette résistance, à leur gré déloyale, que les fabriques de Manchester et de Birmingham devaient chercher le secret de tous leurs mécomptes. La valeur des tissus de coton et de laine importés en Chine sous le pavillon de la Grande-Bretagne s’était, depuis la conclusion de la paix, élevée de 31 millions de francs à 66 millions; mais ce mouvement factice, loin d’être un signe de prospérité, n’était pour les manufactures de la métropole que le triste présage de banqueroutes imminentes. L’ardeur irréfléchie des spéculateurs avait doublé le chiffre, et non pas le profit des échanges. Les pertes éprouvées par la plupart des maisons anglaises dans ces transactions doublement onéreuses ne pouvaient être évaluées à moins de 35 à 40 pour 100 de la valeur totale des marchandises importées et des cargaisons de retour. Cette fâcheuse situation du commerce anglais devait le rendre plus sensible encore aux provocations de la populace chinoise, et, si le gouverneur de Hong-kong hésitait à engager son pays dans les chances incalculables d’une nouvelle rupture, les négocians qui l’entouraient étaient loin d’éprouver les mêmes scrupules.

La vivacité de lord Palmerston contribuait aussi à jeter sir John Davis hors de la voie que lui aurait tracée sa circonspection habituelle. L’impétueux secrétaire d’état ne voulait point que l’Angleterre pût déchoir en Chine, par la faiblesse de son plénipotentiaire, du haut rang qu’elle avait conquis par de récentes victoires. Plus d’une fois, la correspondance du Foreign-Office avait trahi l’impatience et le mécontentement du ministre. Cette correspondance, qui fut publiée par ordre de la chambre des communes, avait arraché aux hésitations de sir John Davis la malencontreuse expédition du 3 avril; elle lui inspirait encore en cette occasion des exigences contraires à ses vues personnelles. Décidé à déployer enfin cette vigueur qu’on affectait sans cesse de lui recommander. sir John Davis, au moment où la Bayonnaise atteignait le but de son long voyage, venait de demander de nouvelles troupes au gouverneur-général de l’Inde. Déjà, sur son invitation, les