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aux abeilles qui, dans les beaux jours du printemps, bourdonnent autour des buissons en fleurs, plus semblables encore aux nocturnes phalènes qu’attirent la funeste clarté et l’éclat vacillant des lampes.

Notre steamer cependant s’est frayé un passage à travers les tankas qui encombrent les abords du quai. De la proue, il écarte les plus opiniâtres, et vient enfin déposer ses passagers à l’entrée du vaste square, planté d’arbres, au milieu duquel est arboré le pavillon des États-Unis. Le consul américain, M. Paul Forbes, nous attendait près du débarcadère. Nous connaissions depuis quelques jours à peine ce consul étranger : aucun de nous pourtant n’eût voulu refuser la gracieuse hospitalité qu’il nous avait offerte. Il y avait une telle cordialité empreinte sur sa loyale physionomie, une sympathie si vraie, si naturelle dans son regard, qu’on se sentait invinciblement entraîné par cette bienveillante confiance qui, dès le premier jour, se livrait tout entière. Fier de son pays, plein de foi dans les grandes destinées réservées aux états de l’Union, portant dans son amour et dans ses convictions patriotiques l’énergie et l’enthousiasme exalté d’une croyance religieuse, M. Forbes ignorait ces mesquines passions qui divisent trop souvent au-delà des mers les exilés européens. Il aimait dans la France l’antique foyer des sciences et de la littérature, la grande patrie intellectuelle, commune à tous les cœurs généreux, chère à tous les esprits délicats. Que de fois nous l’avons entendu associer dans ses espérances, chimériques peut-être, mais toujours nobles et grandioses, notre patrie et la sienne, la vieille Gaule et la jeune Amérique! Bien des illusions se sont déjà évanouies depuis cette époque; bien des rêves complaisamment caressés oseraient à peine se produire aujourd’hui. Ce qui est resté ineffaçable, ce qui a survécu aux illusions et aux rêves, c’est le souvenir d’une amitié vraie et sûre, c’est la mémoire d’un dévouement sympathique et désintéressé, c’est la gratitude profonde pour les services rendus.

Les Chinois ne se sont jamais montrés prodigues envers les étrangers; mais c’est surtout à Canton que leur politique circonspecte leur commandait de mesurer d’une main avare l’espace accordé aux commerçans européens. Neuf ou dix hectares d’un sol marécageux, qu’il a fallu consolider à grands frais, supportent les magasins voûtés et les larges façades à deux étages des factoreries. Ces édifices, construits en granit et en briques, sont divisés en treize groupes distincts par des rues transversales. Deux de ces rues, perpendiculaires au cours du fleuve, Old-China-Street et New-China-Street, sont occupées par des boutiques chinoises. C’est là que se trouvent rassemblés les boites et les plateaux de laque, les porcelaines, les bronzes, les ivoires sculptés, les mille objets d’un prix infini ou d’un bon marché fabuleux sortis des mains industrieuses des ouvriers cantonnais; c’est là que nous avions