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n’avaient jamais été aussi bien prises sur le fait, aussi au vif ; la vanité, la fatuité, l’outrecuidance, y sont peintes avec leurs gestes, leurs sourires dédaigneux, leurs intempérances et imprudences de langage, avec tous leurs tics de la minute présente. Une sorte d’esprit chimérique plane sur toutes ces têtes, et une atmosphère de billevesées politiques entoure tous ces personnages de l’émigration, comme la superstition et l’imagination entourent les personnages de la révolution. Vous vous rappelez certain passage des mémoires de Garat, si souvent cité et si curieux non-seulement pour l’historien, mais pour le moraliste, où Garat raconte une double conversation qu’il avait eue dans la même journée avec deux hommes de partis opposés ; vous vous rappelez les alarmes, les absurdités, les craintes que la bouche de ces deux hommes laissait échapper ; ce fragment de Garat, mieux que tous les récits possibles des faits extérieurs, vous avait fait pénétrer dans les secrets du temps et dans l’ame de la terreur. La mauvaise humeur et les boutades de Mallet dans ses lettres intimes vous rendent le même service que le passage de Garat. Avec Mallet, vous entrez dans l’esprit de l’émigration ; ses indiscrétions vous font comprendre cet autre genre de folie puérile. En vérité, lorsqu’on a achevé la lecture de ces documens opposés, on se dit que tous les historiens ont menti ; que, pour attribuer une certaine valeur morale à cette époque, il faut être, comme nous le sommes tous, engagés dans les mille intérêts qu’elle a fait éclore : alors on fait naturellement un retour à la nature humaine saine, vigoureuse, énergique, capable de haines vivaces et d’amours durables, et l’on se demande à quel degré de corruption il a fallu descendre pour que dans les deux camps ennemis on arrivât à une telle folie superstitieuse et à une telle faiblesse d’esprit. Ô grands chefs de bandes et de partis d’autrefois ! ô princes et généraux, révolutionnaires et rois ! Blaise de Montluc, Coligny, d’Egmont, Cromwell, Charles Stuart, qu’auriez-vous pensé de ces hommes que nos partis respectifs traitent de grands cœurs et d’esprits éminens ? Il y a un soupçon dont il est vraiment difficile de se défendre à l’endroit de la révolution : c’est que cette époque était pour la nature humaine une humiliation, et que l’abaissement des âmes y était inscrit à chaque page.

Là est pour le moraliste l’intérêt véritable des mémoires de Mallet Dupan. La nature humaine qui s’y montre et y passe n’a rien de bien intéressant : c’est une nature humaine à l’état politique ; on y parle avec toute sorte de réticences, on se passe silencieusement de longues notes diplomatiques, on y chuchote ; les visages sont froids et sans expression de physionomie, les paroles glacées. Rien de pittoresque, nulle couleur. Si l’on y cherche les sentimens sympathiques à la nature humaine et tout ce qui a le privilège de l’attacher, on ne l’y trouvera pas. Le côté terrible de la révolution y apparaît à peine ; jamais dans