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même légèrement émouvoir un seul de ses adversaires. C’est là le caractère malheureux de l’école genevoise, et ce qui, avec tant de hautes qualités, l’a toujours rendue stérile. L’école de Genève a eu de grands défauts, dont le principal est d’avoir été la plus abstraite de toutes les écoles politiques, tout en repoussant comme pernicieuse la logique abstraite. Elle est avant tout une école critique et repose sur une saine et positive appréciation des faits, mais cette appréciation a été acceptée presque comme une doctrine rationnelle. De là les teintes fausses qui abondent dans cette école ; elle donne aux faits un air systématique et établit entre eux des compromis et des transactions, toute une sorte de science mathématique. Elle veut tous les accepter, les équilibrer et les ordonner ; elle cherche à refaire artificiellement en politique la nature humaine : aussi cette école ne saurait-elle répondre aux sentimens des masses, qui n’embrassent jamais un grand nombre de faits et d’idées, mais qui n’ont d’enthousiasme que pour un seul fait, pour une seule idée à la fois ; elle est impopulaire aussi parce qu’elle donne aux faits un air abstrait, qu’elle leur retire tout ce qu’ils ont de sympathique et de touchant, tout ce qui en corrigerait l’exagération et la grossièreté. Les doctrines genevoises ne semblent jamais être applicables qu’au passé et à l’avenir : elles ont voulu réduire le présent à être scientifique ; mais au contraire le présent est passionné, instinctif ; il vit et parle, et il faut entendre et parler son langage pour pouvoir le gouverner. Aussi les politiques de l’école de Genève et tous les politiques des écoles qui correspondent à celle-ci n’ont-ils jamais été capables de gouverner. Leur manière d’envisager la réalité a établi dans leur caractère une contradiction déplorable : tant qu’il ne s’agit que de penser, ils sont pleins de hardiesse et même d’imprudence dans les idées ; mais faut-il agir, ils sont alors d’une très grande timidité : ils ont des enthousiasmes de tête pour les doctrines, et leur cœur tremble devant le moindre péril ; la réalité les alarme, et la pensée solitaire les enhardit.

Tous ces caractères (à l’exception du dernier) sont aussi les caractères de Mallet, et c’est ce qui explique pourquoi, malgré le talent avec lequel il était dirigé, le Mercure de cette époque est si oublié, tandis qu’on se rappelle et qu’on lit d’autres écrits du même temps qui ne contiennent ni la même science ni la même saine critique. Comme toute l’école de Genève, Mallet est rationaliste en dernière analyse, d’un rationalisme tempéré par l’observation positive ; il corrige comme elle le doute méthodique par l’induction baconienne, et dans l’étude de l’histoire il cherche plutôt des causes et des effets que des principes et des conséquences ; il voit tout à la lumière d’un certain empirisme méthodique et savant plutôt qu’à la lumière de la logique. « Je suis très convaincu, écrivait-il long-temps avant la révolution, qu’il faut laisser là