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à outrance, demandait à ses adversaires si la propriété, qu’ils accusaient l’auteur de la Théorie des Lois civiles de détruire, n’était pas une usurpatrice qui se maintenait en accaparant, pour se conserver, toutes les ressources de la loi, et si la liberté n’était pas le privilège de celui qui possède. Ainsi Mallet, le défenseur de la société, arrive à poser exactement la même question que posait, tout à côté de lui, le radical Brissot, et que devait plus tard formuler M. Proudhon en ces termes : « La propriété, c’est le vol ! » La révolution arrive, on le voit, et tous ceux qui s’efforcent de la repousser l’attirent comme malgré eux ; mais ne remarquez-vous pas combien tous ces hommes, dont quelques-uns, comme Linguet et Mallet, sont vraiment distingués, sont peu sûrs des principes qu’ils soutiennent ! combien ils sont peu fermes sur les principes, comme ils en sont peu maîtres, et combien l’art de raisonner est perdu ! Les traditions sont oubliées, obscurcies, et leurs défenseurs eux-mêmes ne les connaissent plus. Les institutions sociales, les questions de gouvernement, sont devenues un véritable labyrinthe où ceux qui s’y engagent ne se retrouvent plus. On entend des voix confuses qui crient au milieu de ce dédale : — Par ici ! par là ! de ce côté ! de cet autre ! — l’inquiétude s’empare de toutes les têtes ; l’échauffement de l’esprit et la colère chez quelques-uns, la lassitude et l’indifférence hébétée chez d’autres, ont remplacé la raison calme, froide, maîtresse d’elle-même et du but qu’elle poursuit. Cette révolution va s’opérer par convulsions, désespoir, fièvre ardente, inquiétude, lassitude et hébétement. Les plus inquiets vont émigrer, les plus désespérés vont massacrer, les plus las vont tendre stupidement, sans résistance, le cou à la guillotine.

Le journal de Mallet Dupan, composé ide notes sur les événemens qui ont précédé la révolution française, est curieux à plus d’un titre. Nous assistons aux préparatifs de ce grand événement, nous avons pour ainsi dire la révolution avant la révolution. Quand on a lu ces notes, on se dit que la tempête est inévitable, et l’on comprend l’opinion du grand Goethe, qui, voyageant alors en Italie, dit, après avoir appris l’affaire du collier : « Voilà qui prédit les tremblemens de terre’. » Malheureusement ces notes portent toutes, ou à peu près, sur les scènes de l’assemblée des notables, sur l’exil du parlement et les échauffourées qui s’ensuivirent ; Mallet est un observateur exclusivement politique et qui ne compte que les faits ayant rapport aux affaires publiques et qui ont une importance immédiate. Il manque de philosophie dans sa manière d’observer, et, à défaut de philosophie, de cette curiosité et de ce bavardage propres à un Suétone ou à un Bachaumont. Nous ne trouvons pas dans ses notes l’universel délire de l’époque, ses engouemens puérils, ses manies imitatrices, son enthousiasme pour les montgolfières, les modes anglaises et la vertu ; mais nous rencontrons un de ses traits les plus caractéristiques, un des vices dont la