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écrits de Mallet sur la révolution. — Vous avez mérité votre sort, vous, égoïstes qui brûleriez la maison du voisin pour vous faire cuire deux œufs frais ; vous, indolens qui vous défendiez avec des brochures ; vous, mécréans qui, lorsqu’on vous parle des principes de morale et de justice, demandez d’abord : Combien cela vaut-il ? vous, amateurs cauteleux de la révolution qui, vous attendrissant sur ses excès, préconisez les causes qui les ont produits ; vous, coureurs de petits soupers, dont le plus grand regret peut-être est de les avoir perdus ; vous, téméraires et légers écrivains qui avez lancé dans le monde des maximes dont vous n’étiez pas convaincus ! oui, vous avez mérité d’être livrés à ces scélérats qui, à force d’audace, ont rendu le génie inutile, et à cette populace en bonnet rouge qui fait consister le civisme dans la grossièreté. — Tel est le ton habituel de Mallet ; il n’est pas d’une ame vulgaire.

Mallet a beaucoup écrit sur la révolution française et presque toujours avec une tranquillité de cœur remarquable dans un temps si orageux. Ces événemens font perdre la tête à tous ses amis ; l’abbé de Pradt, Mounier, Malouet, Lally-Tolendal, le chevalier de Panat, se livrent, qui à des colères, qui à des crises nerveuses, qui a des accès de sensibilité ; mais lui, il reste toujours maître de son esprit ; ni le 20 juin, ni le 10 août, ni le 2 septembre ne sont capables de le faire déraisonner, Mallet borne ses horizons et ne cherche pas à prédire ; il envisage avec froideur les événemens les plus horribles au point de vue des conséquences pratiques qu’ils peuvent entraîner, au point de vue du parti qu’on peut en tirer ou des espérances qu’ils abattent ; il parle donc strictement pour son temps et non pour la postérité, et cependant aujourd’hui encore on peut relire ses écrits avec intérêt et profit ; ils ont été frappés par quelques rayons de cette vérité morale qui conserve toujours tout ce qu’elle a une fois touché. Si l’on échelonnait ses lectures avec la méthode d’un plan d’instruction scientifique, les écrits et les pamphlets de Mallet pourraient être recommandés comme une excellente initiation aux Considérations sur la France de Joseph de Maistre, et aux livres de Burke et de Mme de Staël sur le même sujet. Mallet n’a pas, cela va sans dire, les éminentes qualités de ces trois écrivains ; mais, au second rang, il a quelque chose de chacun d’eux, et il peut servir à faire comprendre leurs points de vue respectifs. Constitutionnel comme Mme de Staël, il me paraît bien moins épris de la scholastique du parti, tenir bien moins aux droits de l’homme, à la souveraineté nationale et à toutes les idées de l’école. Souvent éloquent, il n’a pas, à beaucoup près, l’ironie élaborée de Burke, ni cette lenteur de l’anathème que, durant plus de deux cents pages, on entend gronder chez le publiciste anglais au-dessus de la discussion philosophique, et qui éclate comme une vengeance lorsqu’arrive le récit des insurrections. Il n’a pas non plus à son service cette épée à deux tranchans avec laquelle de Maistre saccage à la fois les deux