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plus singulier que sa conduite en ce moment, si ce n’est celle qu’il tint pendant toute la durée de ce ministère. Il le protégea de son nom, et jamais de son action ni même de sa présence. Absorbé par les soins d’une santé bizarre et délabrée, il ne paraissait plus au conseil ni au parlement. À vrai dire, il n’y avait pas de conseil, et lord Chatham, ministre, passa une fois plus d’une année sans mettre le pied à la chambre des lords.

Mais nous touchons au moment où Junius va entrer sur la scène. Pour bien expliquer le sens et la portée de sa polémique, il fallait rappeler cette suite de révolutions ministérielles et indiquer quelques-unes des questions qu’elles avaient fait naître. Il en est une encore pourtant dont nous devons parler ; il est un homme dont le nom est tellement uni à celui de Junius, que l’on a cru parfois que ce nom était le sien même : cet homme, qui donna au gouvernement anglais pendant dix ans les plus grandes et les plus difficiles affaires, cet homme est John Wilkes.


III.

John Wilkes, d’une famille obscure du Buckinghamshire, membre du parlement pour Aylesbury, n’avait été long-temps connu que pour un homme d’esprit et de plaisir ; sa vie n’était pas exemplaire, son esprit n’était pas fort sérieux, ni ses plaisirs très délicats. On citait ses bons mots, ses reparties vives et piquantes. La facilité de ses mœurs, comme l’agrément de sa conversation, l’avait lié avec quelques membres de l’aristocratie politique, qui, à cette époque, se montrait peu sévère dans le choix de ses relations et de ses amusemens. Recherché dans la société sans être aimé ni considéré, il passa pour constamment attaché à lord Temple, qui paraît l’avoir dirigé souvent, employé quelquefois, et qui ne l’abandonna jamais. C’est sous l’influence de cet homme d’état remuant, inquiet, hardi, qu’il paraît s’être formé à la politique. Ses succès de société ne l’ayant pas conduit à une position dans la chambre des communes, il demanda à la presse une importance que la tribune lui refusait. En 1762, il publia en l’honneur de la politique étrangère de lord Chatham un pamphlet concernant la rupture avec l’Espagne, qui ne passa point inaperçu, et, l’année suivante, il adressa à lord Bute une dédicace ironique de la pièce historique de lien Jonson intitulée la Chute de Mortimer. On sait que Mortimer, parvenu au pouvoir par l’amour de la reine Isabelle, mère d’Édouard III, fut pendu par ordre du parlement. L’allusion était manifeste. Wilkes regardait cette épître, empreinte d’une moquerie sanglante, connue son chef-d’œuvre. Un intrigant célèbre, fort écouté par Bute, Bubb Dodington, qui, à force de servir et de trahir toutes les