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l’excitation des esprits à son comble. Le jour où Wilkes devait comparaître devant les communes, ses médecins déclarèrent à la barre que sa blessure ne le lui permettait pas. Un nouveau délai fut accordé, et le 16 décembre ils renouvelèrent cette déclaration. La chambre renvoya l’affaire après Noël, mais commit deux nouveaux médecins pour visiter le défaillant, qui refusa de les recevoir et partit peu après pour Paris, où il alla chercher le succès et la vogue d’un étranger de curiosité, d’un proscrit à la mode et d’un patriote à bons mots. « C’est le seul moyen qui lui restât, écrivait lord Chesterfield, de venir à bout de ses créanciers et de ses persécuteurs. » Le 16 janvier, quand on voulut reprendre son affaire, l’orateur donna lecture d’une lettre de deux chirurgiens français attestant que l’état de l’éternelle blessure rendait tout voyage dangereux. La chambre perdit patience et résolut de procéder comme s’il était présent. Une majorité de 239 voix contre 102 déclara le no 45 du North Briton coupable des plus graves délits imputables à la presse, et le jour suivant elle prononça l’expulsion de l’auteur, ordonnant que le bourg d’Aylesbury procédât à une nouvelle élection.

Le soulèvement de l’opinion ne fit qu’augmenter. Le roi ne pouvait plus paraître en public. Un soir qu’il était au théâtre de Drury-Lane, on annonça pour le lendemain la pièce de Murphy intitulée : Tort partout. On applaudit d’une manière formidable, et il n’y eut qu’un cri: « Droit partout ! Wilkes et liberté ! » L’opposition, encouragée par la clameur du dehors et par les divisions intérieures du cabinet, proposa de mettre à l’ordre du jour la plainte de Wilkes pour violation de privilège. On objecta qu’il avait cessé de faire partie de la chambre ; elle répondit qu’il en était encore membre, quand le mandat général avait été lancé contre lui. La discussion fut vive, et l’opposition se montra forte et hardie, « Nous poussions de tels cris, dit dans ses lettres Horace Walpole, que nous croyions, et les ministres aussi, que nous l’avions emporté. » La motion ne fut en effet repoussée qu’à un petit nombre de voix, 207 contre 197. Sir William Meredith proposa alors de déclarer en principe que les mandats généraux décernés contre les auteurs ou imprimeurs de publications séditieuses n’étaient pas autorisés par la loi. Le débat recommença plus violent et plus douteux encore. Pitt lui-même se leva, et, bien qu’il prît toujours grand soin d’écarter la question de personne et de désavouer Wilkes publiquement, il fit entendre un langage hardiment libéral que nous épargnerons aux lecteurs de notre temps le déplaisir de lire. Enfin l’ajournement fut voté par 232 membres contre 214. Le général Conway, qui l’avait combattu, fut destitué de ses charges de cour et de ses commandemens militaires, et la plupart des officiers complices du même vote perdirent également leur emploi.