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devant la Cour du banc du roi. C’est dans ce procès célèbre que lord Mansfield, qui la présidait, soutint avec le plus de force cette doctrine long-temps chère aux jurisconsultes de la couronne, qu’en matière de presse le jury ne devait connaître que du fait de l’impression et de la publication, non du caractère de l’écrit imprimé et publié. Il réussit trop bien dans sa thèse, et le verdict obtenu portait : « Coupable du fait d’imprimer et de publier seulement. » C’était dire que l’accusé n’était pas coupable d’autre chose. D’une telle déclaration il était difficile de tirer une condamnation quelconque, et le tribunal embarrassé ne prononça pas. La question et l’affaire furent ajournées. Pendant quelques mois, Junius s’était tenu sur la réserve ; il craignait sans doute d’aggraver le sort de son imprimeur, dont les dangers le touchaient. C’était sous d’autres pseudonymes qu’il envoyait au journal quelques lettres d’une polémique courante, lorsqu’enfin il se résolut à un coup d’éclat, et il fit paraître sa lettre à lord Mansfield, 14 novembre 1770. « L’apparition de cette lettre, lui dit-il, attirera la curiosité du public et commandera même l’attention de votre seigneurie. » C’est une de celles, en effet, qu’on a le plus citées, et elle doit l’être encore, quoique consacrée en majeure partie à la discussion d’un point de droit ; mais c’est la question célèbre de la compétence du jury en matière de libelles, question dont la solution décidait de la liberté de la presse. C’est alors qu’elle commença à devenir le sujet d’un débat grave et long, et elle demeura discutée et incertaine jusqu’aux plaidoyers d’Erskine et au bill de Fox (1791).

Mais, au temps même où cette controverse s’éleva, lord Mansfield ne parvint pas à faire pleinement triompher sa doctrine. Elle fut bien admise en droit par le banc du roi, mais elle ne fut pas appliquée à Woodfall, qui, poursuivi sur de nouveaux frais, échappa par un incident à toute condamnation. Lord Mansfield essaya de faire prononcer la chambre des lords dans le sens de son opinion, mais il s’arrêta tout court dans son entreprise. Après avoir paru soulever la question, il resta muet devant un défi de lord Camden, qui le somma de la discuter, et il n’osa répondre à une dédaigneuse réfutation de lord Chatham.

William Murray, lord Mansfield, est resté au premier rang des grands jurisconsultes de l’Angleterre. Son talent de discussion, sa capacité pour les affaires en pouvait faire un homme d’état ; son caractère en ordonnait autrement. S’il eut parfois le rôle et l’importance d’un ministre, jamais il ne voulut sortir définitivement de la carrière judiciaire ; il resta jusqu’à la fin chef de justice de la Cour du banc du roi et l’avocat consultant du pouvoir. Sa prudence un peu craintive, un peu intéressée, l’attacha invariablement à une position secondaire, où il était le premier. Lord Brougham l’a défendu avec succès de beaucoup d’accusations exagérées ou fausses. Comme magistrat, il eut toute