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d’expéditionner. Nos chevaux restaient sans boire un jour ou deux; une fois ils n’ont pas trouvé d’eau pendant trois jours. Les chevaux du Sahara font beaucoup plus que cela. Ils restent environ trois mois sans manger un grain d’orge; ils ne connaissent la paille que les jours où ils viennent acheter des grains dans le Tell, et ne mangent le plus souvent que de l’alfa et du chiehh, quelquefois du guetof. Le chiehh vaut mieux que l’alfa, et le guetof que le chiehh.

Les Arabes disent : « L’alfa fait marcher, — le chiehh fait combattre, — et le guetof vaut mieux que l’orge. » Certaines années se passent sans que les chevaux du Sahara aient mangé un grain d’orge de l’année entière, quand les tribus n’ont point été reçues dans le Tell. Quelquefois ils donnent alors des dattes à leurs chevaux; cette nourriture les engraisse; leurs chevaux peuvent alors expéditionner et combattre.

Vous demandez pourquoi, quand les Français ne montent les chevaux qu’après quatre ans, les Arabes les montent de très bonne heure. — Sachez que les Arabes disent que le cheval, comme l’homme, ne s’instruit vite que dans le premier âge. Voici leur proverbe à cet égard : « Les leçons de l’enfance se gravent sur la pierre; les leçons de l’âge mûr disparaissent comme les nids des oiseaux. » Ils disent encore : « La jeune branche se redresse sans grand travail; mais le gros bois ne se redresse jamais. » Dans la première année, les Arabes instruisent déjà le cheval à se laisser conduire avec le reseun, espèce de caveçon; ils l’appellent alors djeda, commencent à l’attacher et à le brider. Dès qu’il est devenu teni, c’est-à-dire qu’il entre dans sa seconde année, ils le montent un mille, puis deux, puis un parasange, et, dès qu’il a dix-huit mois, ils ne craignent pas de le fatiguer. Quand il est devenu rebàa telata, c’est-à-dire quand il entre dans sa troisième année, ils l’attachent, cessent de le monter, le couvrent d’un bon djelale (couverture) et l’engraissent. Ils disent à cet égard : « Dans la première année (djeda), attache-le pour qu’il ne lui arrive pas d’accident. — Dans la deuxième année (teni), monte-le jusqu’à ce que son dos en fléchisse. — Dans la troisième année (rebâa telata), attache-le de nouveau; puis, s’il ne convient pas, vends-le. »

Si un cheval n’est pas monté avant la troisième année, il est certain qu’il ne sera bon tout au plus que pour courir, ce qu’il n’a pas besoin d’apprendre, c’est là sa faculté originelle. Les Arabes expriment ainsi cette pensée : Le djouad court suivant sa race (le cheval noble n’a pas besoin d’apprendre à courir).

Vous me demandez pourquoi, si l’étalon donne aux produits plus de qualités que la mère, les jumens sont pourtant d’un prix plus élevé que les chevaux. — La raison, la voici ; celui qui achète une jument espère que, tout en s’en servant, il en tirera des produits nombreux; mais celui qui achète un cheval n’en tire d’autre avantage que de le monter, les Arabes ne faisant point saillir leurs chevaux pour de l’argent, et les prêtant gratuitement pour la monte.

Vous me demandez si les Arabes du Sahara tiennent des registres pour établir la filiation de leurs chevaux. — Sachez que les gens du Sahara algérien, pas plus que ceux du Tell, ne s’occupent de ces registres. La notoriété leur suffit, car la généalogie de leurs chevaux de race est connue de tous, comme celle de leurs maîtres. J’ai entendu dire que quelques familles avaient de ces généalogies écrites, mais je ne pourrais les citer.

Vous me demandez quelles sont les tribus de l’Algérie les plus renommées