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attentif, épie le moment favorable, et glisse-toi dans l’atouche. Va, elle est aussi impatiente que toi, elle te tend la main; profite de ce secours, et que tes mouvemens soient plus rapides que le soupçon.

En amour, comme en guerre, la fortune est pour les audacieux, mais les périls aussi sont pour eux. Si ces rendez-vous sont fréquens et réussissent presque toujours, on y risque sa vie : des amans ainsi surpris seraient sûrs de périr tous les deux; mais qui les trahirait? Tous ceux qui les entourent sont pour eux. L’amant instruit ses amis de sa bonne fortune; tous ont voulu aider à son bonheur, et dix ou douze douros ont été envoyés à sa maîtresse. Ce n’est pas tout encore : son émissaire a reçu deux ou trois douros; de l’argent enfin a été distribué aux esclaves et aux domestiques de sa tente; aussi tous ces serviteurs font-ils bonne garde, et sauront-ils prévenir l’amoureux de l’instant où il devra sortir de l’atouche, lorsque l’installation du camp, aux approches de la nuit, amènera partout le désordre et la confusion.

Avant le coucher du soleil, les chefs ont fait reconnaître un endroit propice au campement de la nuit. On doit y trouver de l’eau, de l’herbe et les arbustes qui servent à faire le feu (guetof, el oucera et el chiehh). On arrive sur l’emplacement désigné; chacun dresse ou fait dresser sa tente; on débride les chevaux, on les entrave ainsi que les chameaux; les nègres vont à l’herbe et au bois, les femmes préparent les alimens; on soupe. Mille scènes donnent à cet ensemble du camp un aspect plein de charme et d’originalité; puis une obscurité complète l’enveloppe, à moins de clair de lune; les feux sont éteints, aucune clarté ne luit dans ces ténèbres. On ne sait dans le Sahara ce que c’est que l’huile ou la cire[1].

Immédiatement après le souper, chaque tente désigne un homme qui veille autour des bagages et des animaux; il est chargé de prévenir les vols que ne pourra guère empêcher son active vigilance. Les voleurs ne sont pas les seuls à attendre la nuit. À cette heure aussi, et protégé par cette obscurité, l’amant prévenu par sa maîtresse s’approche furtivement de la tente où elle repose, en relève les bords, guidé par un esclave dévoué, et prend la place du mari, qui, fatigué de la course du jour, dort dans la chambre des hommes (khralfa mtâa redjal), car dans les tentes du désert il y a toujours deux compartimens distincts, l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes. En outre, un homme ne peut sans honte passer toute la nuit avec sa femme. Rien ne gêne dès-lors les entrevues amoureuses. Ce n’est pas la présence d’une ou de plusieurs des trois autres femmes que la loi

  1. Depuis les relations fréquentes qu’ils ont avec nous, les chefs du désert emploient cependant avec plaisir la bougie qu’ils nous achètent sur le littoral.