Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/978

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mistes de l’appel au peuple qui aient opéré ce miracle par la vertu de leur propagande ; nous nions que toutes les statistiques électorales aient pu soulever en assez d’esprits des scrupules assez vifs pour déterminer cette grosse débandade. Le miracle s’est opéré, dans le cœur du plus grand nombre, sous la même influence qui l’a produit dans le cœur de MM. Lacrosse, Fortoul et Casabianca, ces anciens soldats de la loi du 31 mai qui font aujourd’hui campagne contre elle, et qui ne daignaient pas même la voter hier, si mitigée qu’on la leur servît sous sa nouvelle forme. Que voulez-vous ? ils ont pour sûr la haine de la réaction et des vieux partis, selon le langage à la mode ; c’était bien la peine de commencer par en être la queue ! Le miracle s’est opéré, grâce aux paroles magiques du message présidentiel : le pouvoir exécutif a tourné de droite à gauche, tout en protestant qu’il ne faisait que rester en son juste milieu. Il a dû trop aisément constater aussitôt le degré d’attraction qu’il exerçait, et la quantité de satellites qu’il entraînait dans ce mouvement inattendu. Après la tentation d’insulter le pouvoir, il n’y en a pas de plus efficace parmi nous que d’aspirer à l’honneur de le suivre quand même. On ne manque jamais d’excellentes raisons pour le rattraper au plus vite, lorsqu’on n’a pas été des premiers à saisir le mot d’ordre. Les intermédiaires complaisans, les négociateurs en sous-main circulent et pérorent ; une conversion en provoque une seconde ; les enjôlés se font enjôleurs ; la maison se divise, et toute maison divisée périra. Nous avons énuméré dernièrement les griefs qui s’élevaient contre le message ; nous en avons un de plus aujourd’hui : le message a divisé la majorité. — Pourquoi, direz-vous méchamment, la majorité s’est-elle laissé faire ? — Vous avez bien raison ! C’est comme lorsqu’on accusait le roi Louis-Philippe d’avoir corrompu la France ; pourquoi, pouvait-on dire, la France s’est-elle laissé corrompre ? Cela n’a pas empêché que le vieux prince fût jeté hors du trône, et s’en allât mourir en exil, pendant que, pour notre part, nous nous débattions contre le fléau révolutionnaire. Si la faute a été partagée, n’est-ce pas justice que l’expiation soit commune ainsi que la faute ?

Cet anéantissement de la majorité dans la discussion et dans le vote de la loi des élections municipales ne s’explique cependant tout-à-fait que par la stupeur ah l’échec de la proposition des questeurs avait préalablement plongé l’assemblée. Le rapport de M. Vitet précisait on ne saurait mieux cette question délicate. Fallait-il ou non la mettre en avant ? Ce qu’il y a malheureusement de plus clair dans de telles complications entre des pouvoirs rivaux, c’est qu’il en est toujours un, selon le gré du moment, qui a l’air de céder trop quand il veut être pacifique, et de courir après le tapage quand il ne veut plus céder. L’embarras de celui des deux pouvoirs qui n’a pas le plus de crédit dans l’opinion, c’est de saisir à point l’instant où l’opinion se déclare satisfaite pour lui, et sa prudence consiste à n’aller pas au-delà, quoi qu’il en coûte à son honneur. Le rapporteur qui a soutenu devant l’assemblée que l’assemblée avait le droit de réquisition directe sur les troupes nécessaires à sa défense, et qu’elle en disposait, aux termes de la constitution, dans le sens le plus large, — les orateurs qui se sont rangés à l’avis de M. Vitet et de la commission, — les 300 membres qui ont voté pour lui, ont-ils plus consulté l’honneur que la prudence ? Évidemment oui, puisqu’ils ont été battus par cette coalition élyséenne et montagnarde que M. Vitet lui-même signalait avec l’accent indigné d’un hon-