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lettres jusqu’à une personne cachée obscurément dans Staples-Inn, mais dont on n’avait jamais pu suivre les traces plus loin.

Voilà en gros les faits matériels sur lesquels le docteur Good appuie tout son travail. Joignant aux preuves externes l’étude des preuves internes, il passe en revue les divers personnages fort inégalement célèbres, pour lesquels avait été, jusqu’en 1813, réclamée la paternité des lettres de Junius. Il prouve assez bien qu’aucun n’a des droits, et surtout moins qu’aucun autre, les prétendans les plus connus, comme lord Chatham, Burke, Wilkes, auxquels il oppose des argumens, selon nous, péremptoires. Nous en disons autant de certains prétendans plus ignorés en France, et dont la cause a été soutenue avec chaleur, comme Gérard Hamilton, Macauley Boyd, le général Lee, Joseph Dunning, qui fut depuis lord Ashburton. Supprimons cette oiseuse discussion, et recueillons seulement, d’après Good et la plupart des auteurs qui l’ont suivi, les traits principaux auxquels devrait être reconnu le véritable Junius. Ce sont les données générales du problème à résoudre.

D’après tous les faits connus, d’après les écrits authentiques, il semble que Junius devait être un Anglais, non un Irlandais, moins encore un Écossais, un homme d’un esprit cultivé, ayant une instruction et des goûts classiques, exercé dans l’art d’écrire, sans être un écrivain de profession, parlant la langue anglaise dans sa franchise originaire, sans l’énerver par les formes à la mode, quoiqu’il trahisse par quelques mots une éducation irlandaise, et par quelques gallicismes la connaissance et l’usage du français. Il avait sérieusement étudié l’histoire et la constitution de son pays, le droit même, dont il parlait le langage avec facilité, mais sans la rigoureuse exactitude d’un jurisconsulte ; il n’était ni homme de loi, ni homme d’église ; il n’était pas ou il n’était plus soldat, mais il semblait savoir la guerre, comme aussi les règlemens et les affaires de l’armée, dont le personnel lui était familier. Mais ses relations vont plus loin. Il doit avoir suivi le parlement, surtout de 1767 à 1772, ne paraissant guère avoir quitté Londres pendant toute cette période, parfois même il s’exprime comme s’il était membre des communes. Il vit dans le monde politique, qui pour lui n’a pas de secret. Ses regards pénètrent dans les palais ; l’intérieur de la famille royale n’est pas fermé pour lui ; il sait comment le roi a été élevé et quel est son caractère. Ce qui se passe au sein du gouvernement ou même à la cour arrive promptement jusqu’à lui. Il parle des affaires publiques avec le ton de l’expérience ; il les suit avec une attention assidue, se tient au courant de tout, étudie les questions pour les traiter, et, dans cette activité laborieuse qui semble absorber tout son temps, il écrit sur tout, et, malgré la rapidité de la composition, travaille tout ce qu’il écrit. Aucun homme ne semble lui