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— Le canon est à côté de son caisson rempli de munitions, reprit Garduño ; mais, je vous le dis, c’est comme un fusil sans batterie.

Je jetai un coup d’œil sur les bras nerveux de Valdivia ; celui-ci me comprit.

— Je prendrai quelques hommes avec moi, et j’irai le chercher, dit Valdivia. Messieurs, nous boirons ce soir à notre aise.

En disant ces mots, Valdivia se mettait en devoir de partir.

— Vous n’allez pas seul sans doute ? lui dis-je.

— Ma foi ! si le canon ne pèse pas plus qu’un cheval avec son cavalier, je pourrai bien l’apporter sans avoir besoin d’aide.

Il pèse beaucoup plus, reprit le colonel ; dix hommes, qui savent où est le canon, vont vous accompagner.

Au bout d’un quart d’heure, les hommes revenaient. Ils avaient attelé leurs chevaux avec des cordes autour de la pièce de canon démontée qu’ils traînaient sur un sol inégal. Parfois un obstacle de terrain rendait le canon immobile ; alors Valdivia se penchait, faisait un effort, et le canon dégagé rampait de nouveau sur le terrain. Je fis alors ranger mes hommes en silence à trois cents pas environ de l’hacienda.

— Maintenant, mes enfans, leur dis-je, nous avons deux moyens d’attaquer : le premier est de pousser tous ensemble notre cri de guerre à la manière des Indiens ; le second est d’escalader l’hacienda pendant que nous canonnerons la porte : le prisonnier grimpera avec vous pour vous servir fidèlement de guide sous peine de mort, et, tandis que nous entrerons par la brèche, vous entrerez par les terrasses ; mais ce second moyen ne peut être adopté qu’au cas où il se trouvera cinquante hommes assez braves, assez lestes et assez résolus pour escalader une muraille qui donne sur un précipice dont on ne peut pas voir le fond. Du reste, passé une certaine hauteur, ajoutai-je, l’homme qui tombe n’y regarde plus.

— Je marcherai le premier, s’écria le colonel, qui avait écouté ma harangue, et peut-être, pour prix de notre audace, serons-nous assez heureux pour mettre la main sur le commandant.

— Vous lui en voulez beaucoup, à ce qu’il paraît ? dis-je au colonel..

— A mort ! comme on peut en vouloir à l’homme qui vous a infligé un mortel outrage.

L’exemple du colonel encouragea les guerrilleros, et bientôt celui-ci put choisir, parmi tous ceux qui s’offraient, les plus forts et les plus agiles pour l’accompagner. De toute cette troupe, celui qui paraissait évidemment le moins enthousiasmé était le prisonnier espagnol, à qui cette escalade d’un mur de vingt-cinq pieds de haut, se dressant à pic au-dessus d’un gouffre, ne souriait que médiocrement.

Les cinquante hommes désignés par le colonel faisaient leurs prépartitifs