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— Bonnes, monsieur. Grace au ciel, les prisonnier sont sauvés, je les ai laissés à Djema.

— Courons chez le général, sa joie sera grande.

Et, m’élançant vers la porte, je descendis l’escalier tortueux quatre à quatre, au risque de me rompre le cou, suivi de M. Durande, affublé d’un grand caban napolitain, couvert de vêtemens de pêcheur, et ressemblant si bien à un flibustier des côtes, que l’erreur du soldat était vraiment excusable. M. Durande attendit dans la grande salle mauresque du Château-Neuf, pendant que j’entrais chez le général. Il me fallut le secouer rudement, car, si le général de Lamoricière est un travailleur infatigable, il était aussi difficile de l’arracher au sommeil qu’à l’étude. Dès que je lui eus fait part des nouvelles

— Envoyez chercher, me dit-il, — le colonel de Martinprey. Que l’on réveille ces messieurs. Donnez l’ordre à deux courriers arabes de se tenir prêts à monter à cheval.

Il était une heure et demie du matin ; mais, dans un état-major, le jour ou la nuit les ordres s’exécutent sans retard. Deux minutes après, les plantons se mettaient en route, et j’avais rejoint le général. Nous trouvâmes ce pauvre Durande assis sur un des canapés de la grande salle la fièvre commençait à lui faire claquer les dents. Constamment en mer depuis soixante heures sur une méchante balancelle, tour à tour en proie à la crainte et agité par l’espérance, l’excitation nerveuse l’avait soutenu tant qu’il avait dû conserver ses forces pour accomplir son devoir ; mais maintenant la réaction commençait à se faire sentir. Il pouvait à peine ouvrir la bouche aussi quelles n’avaient pas été ses fatigues depuis un mois !

Le 2 novembre 1846, un Arabe remettait au gouverneur de Mélilla, ville occupée par les Espagnols sur la côte d’Afrique une lettre de M. le commandant Courby de Cognord, prisonnier de l’émir. Dans cette lettre, M. de Cognord annonçait que, moyennant une rançon de 40,000 francs, le chef chargé de leur garde consentirait à le livrer, lui et ses dix compagnons d’infortune, les seuls qui eussent survécu au massacre de tous les prisonniers faits par Abd-et-Kader dans ce malheureux mois de septembre 1845, une époque pour nous si fatale ! Le gouverneur de Melilla transmit immédiatement cette lettre au général d’Arbouville, commandant alors par intérim la province d’Oran. Bien qu’il eût peu d’espoir, le général d’Arbouville, ne voulant pas laisser échapper la moindre occasion, demander au commandant de la corvette à vapeur le Véloce un officier intelligent et énergique pour remplir une mission importante. M. Durande, enseigne de vaisseau, fut désigné. Quant aux 40,000 francs, prix de la rançon, on ne les avait pas, mais heureusement la caisse du payeur divisionnaire se trouvait à Oran. Toutefois, comme aucun crédit n’était ouvert au budget, l’on