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continent avec l’empire de dom Pedro étaient plus fréquentes, Brésil ne tarderait pas à s’affranchir de l’influence du génie portugais, qui se reflète encore trop vivement dans sa littérature. Humble fille de la poésie portugaise, la poésie brésilienne a traversé le XVIIIe siècle sans s’inspirer assez de la magnifique nature des régions transatlantiques. Si l’on excepte quelques poèmes religieux, les productions brésiliennes n’ont formé pendant long-temps qu’une branche assez pauvre de la littérature portugaise. Depuis l’indépendance, la muse brésilienne cherche enfin l’originalité, et la rencontre quelquefois ; mais le plus souvent, il faut bien le dire, elle ne se dérobe à l’imitation des écrivains portugais que pour payer tribut à la France et à l’Angleterre. C’est ainsi que dans le recueil lyrique d’un poète brésilien très renommé aujourd’hui, M. Magalhaens, notre littérature contemporaine pourrait revendiquer de nombreux emprunts. Un autre poète, M. Teixeira Souza, s’inspire de Lamartine et mêle aux tendances rêveuses du chantre des Méditations quelques reflets de la misanthropie byronienne. En regard de ces œuvres d’imitation, si l’on voulait placer les œuvres originales, il faudrait nommer MM. Gonzalves Dias et Silveira Souza, qui ont rencontré parfois quelques accens empreints d’une mélancolie, d’une langueur où l’on reconnaît la suavité du ciel brésilien ; M. Norberto, qui applique le cadre de la ballade à décrire les belles campagnes et les mœurs poétiques de sa patrie. Le plus indépendant, le plus remarquable des poètes brésiliens est, sans contredit, M. Araujo Porto Alegre dans ses poésies trop peu nombreuses, mais toutes inspirées par des sujets tirés de l’histoire nationale, on remarque un éclat, une richesse d’images qui rappellent la splendide abondance de la poésie orientale. Dans la poésie dramatique le génie de la nation brésilienne semble moins à l’aise. Un poète déjà nommé, M. Magalhaens, a cependant écrit plusieurs tragédies, le Poète et l’Inquisition, Olgiato, Socrate, où la forme antique, s’alliant au goût moderne, rappelle le faire harmonieux de Casimir Delavigne. Un autre poète ; M. Souza Silva, est l’auteur d’une tragédie de Roméo et Juliette, où il a montré une vive intelligence du chef-d’œuvre de Shakspeare. En vrais descendans de Camoens, les Brésiliens préfèrent néanmoins l’épopée, au drame. M. Gonzalves Teixeira représente avec distinction cette tendance du génie national. Il a écrit un brillant poème sur l’indépendance du Brésil ; un autre sur les Indiens, où se remarque un noble sentiment des harmonies et des splendeurs de la nature américaine. Par la contexture et la flexibilité de son rhythme, M. Teixeira rappelle le poète portugais Bocage ; par ses images, Chateaubriand, dont il a fait sa lecture favorite ; par son caractère général enfin, et par sa forme sarcastique, lord Byron ; le chantre immortel, de Don Juan.

Ce n’est pas sans dessein que nous insistons sur ce mouvement, sur ces premiers essais d’une jeune littérature : il y a là un trait caractéristique et qu’il faut se garder d’omettre dans la physionomie morale d’une des plus intéressantes sociétés de l’Amérique du Sud. Au Brésil, c’est presque un devoir, pour tout jeune homme qui entre dans la vie, de préluder par la poésie à la pratique des affaires ; mais là aussi, disons-le tout d’abord, la littérature n’est jamais, comme chez nous, une carrière, une profession. Aussi, rarement le Brésilien reste-t-il fidèle au culte des Muses ; la littérature n’est guère dans ce pays qu’une pépinière de diplomates, d’hommes d’état et de fonctionnaires