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de l’œuvre providentielle commise au premier consul les élémens qu’y joignirent bientôt après ses passions et ses entraînemens personnels. Cette carrière, en effet, a des phases non moins séparées par l’esprit qui les inspire que par les résultats qui les caractérisent, et c’est dans l’œuvre pacifique et libérale qui sauva la France en l’an VIII que gît la plus éclatante condamnation de l’œuvre d’arbitraire et de violence sous laquelle le pays faillit succomber en 1814. Ce n’est pas pour la triste satisfaction de rabaisser un grand homme que je tiens à faire ressortir les contradictions d’une vie trop souvent présentée comme identique avec elle-même : j’y suis poussé par une pensée plus sérieuse. Lorsqu’on s’attache chaque jour à faire de la gloire et de la popularité de Napoléon la condamnation éclatante de ces garanties constitutionnelles si dédaignées par nos nouveaux esprits forts, il est utile de prouver par les témoignages contemporains que l’homme du 18 brumaire fut suscité non pour détruire, mais pour confirmer les grandes conquêtes politiques de la révolution, et que, s’il finit par lasser sa fortune, ce fut à force de manquer à sa tâche, telle que lui-même l’avait d’abord comprise et si glorieusement accomplie.


II

À la fin du directoire, la France appelait à grands cris l’ordre politique et l’ordre moral, mais elle n’invoquait point le despotisme, car, si elle avait perdu beaucoup d’illusions, elle avait conservé la plupart de ses croyances. Lorsque la tribune avait été si long-temps le marche-pied de l’échafaud, et quand on voyait les soupers de Barras et les parades de Lareveillère-Lépaux succéder aux holocaustes de la terreur, il était naturel qu’on fût lassé des scènes bruyantes et qu’on voulût entourer l’exercice du gouvernement représentatif d’un appareil moins dangereux et de formes plus rassurantes. La constitution de l’an VII dut la faveur avec laquelle on l’accueillit à la croyance, alors générale, que Sieyès, son auteur, avait résolu ce problème sans toucher à aucun des principes proclamés en 89 et consacrés en 91. Une constitution d’après laquelle les projets de loi étaient d’abord publiquement débattus dans un grand corps politique appelé tribunat, et dans une grande assemblée administrative sous le nom de conseil d’état, pour être votés par une législature délibérant en secret comme une cour judiciaire, ce n’était là, dans la pensée de personne, ni la suppression ni même l’affaiblissement du gouvernement représentatif. Si le système électoral par voie de candidature sur une triple liste municipale, départementale et nationale, engendra des complications multipliées, sous lesquelles s’énerva bientôt le principe électif lui-même, ce