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Ce grand changement était bien loin, sans doute, d’avoir la même signification pour tous les esprits, et laissait prévoir des complications futures. Pendant que les anciens royalistes saluaient avec transport le triomphe de la cause pour laquelle ils avaient souffert et du principe auquel ils avaient gardé leur foi, la masse des citoyens, qui n’avait ni ces affections, ni ces croyances, ne voyait dans le retour de l’antique royauté qu’une garantie contre le despotisme militaire, qu’une nouvelle tentative pour réaliser la sage pensée de 1804 et la forme politique si vainement poursuivie durant vingt-cinq années. Les premières déclarations du chef de la maison de Bourbon avaient donné l’assurance que tous les intérêts issus de la révolution seraient scrupuleusement garantis, et constaté son intention d’opposer les bienfaits pratiques de la liberté aux décevantes illusions de la gloire. Les obstacles qui, sous le directoire, avaient arrêté l’essor de la bourgeoisie dans son retour vers la royauté proscrite n’existaient plus ; une génération presque entière avait disparu emportant au tombeau ses haines et ses rancunes. Les propriétés nationales avaient jeté dans le sol d’indestructibles racines, et la France de Valmy et de Zurich, d’Austerlitz et de Wagram, était trop grande, même dans ses revers, pour redouter un parti qu’elle dominait de toute sa hauteur. Le sénat agissait donc conformément à la pensée qui agitait la France depuis 1789 en « appelant librement au trône Louis-Stanislas-Xavier, frère du dernier roi des Français, sous la charge d’accepter et de jurer une constitution dont les bases lui seraient présentées, et qui serait ultérieurement soumise à l’acceptation du peuple. »

De son côté, en appuyant cette révolution pacifique et libérale qui impliquait dans la pensée de ses auteurs la reconnaissance formelle de la souveraineté nationale, la bourgeoisie française, bien loin de se contredire, était parfaitement conséquente avec elle-même et continuait de demander ce qu’elle avait toujours voulu. La maison de Bourbon, qui, à la suite des cent jours et de la seconde invasion, parut ne plus représenter qu’un parti, avait eu, à la première restauration, cette singulière bonne fortune, de ne rien devoir à ses amis et de ne pas rencontrer d’adversaires. Devenue, par le seul fait de son antagonisme avec l’empire, l’expression soudaine de ce qu’il y avait d’intime et de permanent dans les vœux et les besoins de la nation, elle se trouva un moment dans une des situations les plus favorables où la Providence ait jamais placé une race royale. Attacher son nom à l’établissement définitif d’un gouvernement libre, signer ce premier traité de Paris qui n’effleurait pas nos frontières et nous conservait tous les chefs-d’œuvre conquis par nos armes, obtenir qu’un million d’étrangers quittassent la France à l’heure même où y rentrait un vieux