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des fautes de détail, moins toutefois qu’on ne l’a dit et que le roi Louis XVIII lui-même ne parut disposé à le reconnaître ; mais ni les fautes de ses ministres, ni les maladresses de quelques vieux serviteurs ne suffisent pour expliquer cet abandon sans exemple et cette soudaine détresse d’un grand gouvernement attaqué de front par un seul homme. S’il succomba, ce fut pour avoir repoussé les seules conditions qui rendent viables les monarchies modernes, et pour avoir cherché sa force dans un dogme devenu le principe permanent de sa faiblesse. En attaquant la restauration au défaut de la cuirasse, si je puis ainsi parler, Napoléon lui porta un coup mortel. Le proscrit de l’île d’Elbe se vit transporté des rives de la Provence au palais des Tuileries sur les bras des mêmes populations rurales qui l’avaient insulté lorsqu’il partait pour l’exil, et si les classes moyennes ne donnèrent pas leur concours actif au retour d’un régime sous lequel elles avaient trop souffert, elles le laissèrent du moins se consommer sans résistance.

Le mouvement du 20 mars, auquel l’armée seule se dévoua chaleureusement, fut pour la bourgeoisie une révolution en quelque sorte négative. Cette révolution s’opéra par un sentiment vague, mais général, de méfiance contre la monarchie beaucoup plus que par un retour de sympathie vers l’empire. Napoléon put bien, durant les cent jours, préparer pour l’avenir à la maison de Bourbon d’inextricables difficultés, et voir du haut de son rocher s’allumer déjà les premiers éclairs de l’orage de 1830 ; mais il ne lui fut pas donné de profiter pour son propre compte du réveil des passions révolutionnaires qu’il avait si long-temps travaillé à enchaîner. En vain promettait-il des garanties et remettait-il en vigueur par son premier décret les lois de l’assemblée constituante[1] ; en vain subit-il sans une répugnance trop apparente le contrôle de la chambre des représentans et les censures parfois sévères de la presse ; plus vainement encore affichait-il chaque jour la ferme résolution d’oublier qu’il avait été le maître du monde pour n’être à l’avenir que le souverain pacifique et constitutionnel des Français : personne, ni au dedans ni au dehors, ne prenait au sérieux des assurances qu’aurait emportées une première victoire. Son rôle de 1802 était devenu aussi impossible pour l’empereur que son rôle de 1812 ; pour avoir déserté sa mission, ce grand homme subissait justement le supplice de ne pouvoir plus rien pour lui-même, et de n’être désormais dans la marche du monde qu’un obstacle et qu’un péril. Les forces régulières de la société refusaient absolument de se confier à Napoléon, et dans une lutte nouvelle contre l’Europe celui-ci n’avait

  1. Articles 1er et 2 du décret de Lyon du 15 mars 1815.