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LE BISCÉLIAIS.


I.

Au mois de février 1843, à l’époque des grandes rigueurs de notre climat, pendant ces sombres journées où le Parisien grelotte et souffle dans ses doigts, j’habitais à Naples une chambre sans cheminée sur le quai de Santa-Lucia ; le thermomètre de Réaumur marquait quinze degrés ; les promeneurs de la Villa-Reale portaient des pantalons blancs, et les rues étaient inondées de violettes. Un matin, des rires et des vociférations m’éveillèrent plus tôt qu’à l’ordinaire ; je secouai la paresse et j’ouvris ma fenêtre. Une douzaine de grandes barques à rames et à voiles, amarrées au quai, s’apprêtaient à partir pour Sorrente, où il y avait une fête. Les barcaroles appelaient les passans avec des cris et des gestes de possédés en leur promettant un bon vent, une prompte traversée, les plus braves rameurs du monde et toute sorte de divertissement. A mesure qu’une barque avait recueilli tout ce qu’elle pouvait contenir de passagers, elle déployait ses voiles et s’éloignait. Les éclats de la gaieté napolitaine ont quelque chose d’entraînant et de contagieux. Le vertige du plaisir me gagna peu à peu. Je m’habillai à la hâte et je descendis à temps pour prendre place dans la dernière barque, au milieu d’une bande joyeuse de bourgeois, de jeunes filles et de gens du peuple.

Dans cet heureux pays où un parapluie s’appelle ombrella, la matinée qui annonce un beau jour tient parole. Le ciel était d’un bleu magnifique. Déjà le signal du départ avait été donné. L’une des barcaroles, appuyant sa longue rame sur le bord du quai, avait démarré la